
Enseignement efficace et réforme de l’éducation : une antinomie ! |
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Le débat - Système éducatif |
Écrit par Entretien avec Steve Bissonnette |
Samedi, 19 Mars 2016 18:46 |
TweeterEnseignement efficace et réforme de l’éducation : une antinomie !Entrevue avec Steve Bissonnette réalisée par Suzanne-G. Chartrand CRIFPE - Université Laval
Formation et profession, Chronique : Rendez-vous avec la recherche, pp 57-59
Steve Bissonnette est professeur au Département de psychoéducation et de psychologie de l’Université du Québec en Outaouais. Son domaine de spécialisation est celui de l’intervention en milieu scolaire. Il vient de terminer une recherche doctorale intitulée Réforme éducative et stratégies d’enseignement : synthèse de recherches sur l’efficacité de l’enseignement et des écoles.
Suzanne-G. Chartrand : M. Bissonnette, pourquoi avez-vous entrepris cette recherche et, plus particulièrement, à quelles questions a-t-elle tenté de répondre ? Steve Bissonnette : Je voulais identifier, à partir de données probantes, les stratégies d’enseignement qui favorisent la réussite scolaire de ceux dont les probabilités de décrocher sont les plus élevées, soit les élèves en difficulté et ceux à risque d’échec. Aussi, afin d’évaluer l’espace accordé à ces stratégies, j’ai analysé le discours de Vie pédagogique, publiée par le MELS, la revue la plus consultée par les enseignants selon une enquête du Conseil supérieur de l’éducation de 2006. Cette thèse a répondu aux trois questions suivantes :
Comment définissez-vous la notion de stratégie d’enseignement, d’où vient-elle et dans quel réseau de notions s’inscrit-elle ? Plusieurs termes sont employés en enseignement : modèles, stratégies, méthodes et techniques. Parmi ceux-ci, j’en définirai deux, stratégies et méthodes d’enseignement [1]. Une méthode d’enseignement est une façon d’organiser une activité pédagogique dans le but de faire faire des apprentissages aux élèves. On dira, par exemple, que l’exposé magistral et le travail en équipe sont des méthodes d’enseignement. Une stratégie d’enseignement est « un ensemble de méthodes harmonieusement agencées selon certains principes » (Legendre, 1988, p. 369). Par exemple, l’enseignement individualisé, l’enseignement direct (direct instruction) et l’enseignement par résolution de problèmes constituent des stratégies d’enseignement puisque, dans chacun, on trouve différentes façons de faire, différentes méthodes susceptibles, lorsqu’agencées, de constituer un type d’enseignement cohérent.
Vous avez choisi la typologie des stratégies d’enseignement de Chall parmi d’autres, pourquoi celle-là ? S’appuyant sur les travaux de Cuban (1993), Gage (1978) et Gage et Berliner (1992), Chall (2000) indique que les stratégies d’enseignement peuvent être représentées sur un continuum dont l’une des extrémités correspondrait aux stratégies centrées sur l’enseignant « teacher-centered approaches » et l’autre, aux stratégies ou approches centrées sur l’élève « student-centered approaches ». Les stratégies centrées sur l’enseignant sont généralement associées aux pédagogies dites traditionnelles, directives, structurées et explicites tandis que celles qui sont centrées sur l’élève correspondent davantage aux pédagogies dites nouvelles, modernes, ouvertes et progressistes. Bien que cette typologie soit une façon simplifiée de se représenter théoriquement les stratégies d’enseignement, Chall indique que : « les stratégies d’enseignement se classent aisément dans l’une ou l’autre de ces catégories » (p. 7). De plus, cette typologie est largement utilisée dans les recherches anglo-saxonnes portant sur l’efficacité de l’enseignement et des écoles. Or, c’est ce corpus de recherches que je me suis efforcé d’analyser.
Cette centration dans les discours actuels sur l’une ou l’autre des extrémités du continuum n’est-elle pas un peu réductrice lorsqu’il s’agit d’analyser la réalité de l’enseignement des disciplines scolaires à l’école ? C’est une critique possible. Toutefois, n’oublions pas que Chall indique que les stratégies d’enseignement se situent sur un continuum, et donc pas toutes aux extrémités. Bien qu’elle puisse être classée à l’un ou l’autre pôle du continuum, cela ne veut pas dire qu’une stratégie d’enseignement se situe nécessairement à l’une des extrémités. Mon analyse de la littérature m’a permis de constater qu’en effet, peu de stratégies d’enseignement correspondent aux extrémités de ce continuum, à l’exception de l’enseignement direct (direct instruction) et de l’apprentissage par découverte (discovery learning).
Quels sont les principaux résultats de votre analyse ? Mon étude, basée sur des données rigoureuses selon les critères de la recherche scientifique en sciences humaines, révèle que les stratégies d’enseignement efficaces utilisées dans ces deux contextes (élèves en difficulté et écoles efficaces de milieux défavorisés) correspondent à celles qui sont centrées sur l’enseignant, en particulier l’enseignement explicite. Malheureusement, ce type de stratégie occupe un espace trop restreint dans le discours de la revue Vie pédagogique. Notre analyse de contenu montre en effet une forte prédominance des stratégies d’enseignement centrées sur l’élève dans ce discours pédagogique au détriment de celles centrées sur l’enseignant. De plus, la présence des stratégies centrées sur l’élève s’est accrue depuis l’avènement de la réforme de l’éducation des années 2000. On peut donc penser que la mise en œuvre de telles stratégies d’enseignement est susceptible d’entraîner des effets négatifs sur le rendement des élèves en difficulté.
N’y aurait-il pas des nuances à faire selon les disciplines et les ordres d’enseignement ? Je ne peux me prononcer sur les résultats de recherches concernant l’enseignement au secondaire. Cependant, les résultats de mon étude montrent que l’enseignement explicite favorise l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et des mathématiques auprès des élèves en difficulté et de ceux à risque d’échec du niveau élémentaire. Il y a là une convergence de résultats qui montre l’efficacité de l’enseignement explicite.
Ne peut-on pas montrer qu’il y a une différence, voire une contradiction entre les discours des théoriciens et des idéologues scolaires, d’une part, et les pratiques réelles dans les classes, d’autre part ? Probablement. Seule l’observation en salle de classe permet de vérifier la mise en œuvre d’une stratégie d’enseignement. C’est pourquoi les études rigoureuses prévoient une telle vérification.
Références - Bissonnette, S. (2008). Réforme éducative et stratégies d’enseignement : synthèse de recherches sur l’efficacité de l’enseignement et des écoles. Thèse de doctorat, Université Laval, Québec, Canada. - Cuban, L. (1993). How teachers taught. Constancy and change in American classroom 1880-1990 (2e éd.). New York, NY: Teachers College Press. - Gage, N. L. (1978). The scientific basis of the art of teaching. New York, NY: Teachers College Press. - Gage, N. L. et Berliner, D. C. (1992). Education psychology (5e éd.). Boston, MA : Houghton Miffin. - Joyce, B. R., Weil, M. et Calhoun, E. (2009). Models of teaching. Boston, MA: Allyn & Bacon. - Legendre, R. (1988). Dictionnaire actuel de l’éducation. Montréal/Paris : Larousse.
[1] . J’invite le lecteur à consulter les travaux de Joyce, Weil et Calhoun (2009) et ceux du ministère de l’Apprentissage de la Saskatchewan afin d’en savoir davantage à ce sujet. |