Ce qu’est l’Enseignement Explicite, ce qu’il n’est pas Imprimer Envoyer
Pédagogie Explicite - Questions
Écrit par Françoise Appy   
Mardi, 20 Septembre 2011 12:17

Ce qu’est l’Enseignement Explicite, ce qu’il n’est pas

Oui / Non

 

« L’enseignement explicite appartient au courant traditionaliste »

OUI - NON

Le courant traditionaliste, comme son nom l’indique, est une façon d’enseigner basée sur  la tradition. Il s’agit des pratiques de classe telles qu’elles existaient avant 1968, c’est-à-dire avant la mise en application du constructivisme. C’est une pratique directe et magistrale. Elle repose donc sur un savoir d’expérience, n’ayant pas fait l’objet d’études théoriques ou expérimentales. Elle ne s’interroge pas sur la façon de transmettre les informations pensant qu’il suffit que l’enseignant les maîtrise lui-même pour être capable de les enseigner.

Voici ce qui différencie la pratique traditionnelle de l’Enseignement Explicite :
- La place du maître est différente. En Enseignement Explicite, il perd son rôle central de modèle. Il est là pour s’assurer que les connaissances et habiletés sont transmises, comprises, maîtrisées et mémorisées ; il suit les procédures qui ont fait leurs preuves. Il est actif en permanence tout comme les élèves, dans une relation d’accroche et de relance permanente.
- Dans l’acte de transmission, il y a en pédagogie traditionnelle peu de rappel des connaissances antérieures, les buts sont insuffisamment présentés et on ne modèle pas suffisamment.
- La pratique guidée quand elle existe, est insuffisante en enseignement traditionnel : l’enseignant expose puis met les élèves directement au travail en pratique autonome. L’erreur a le temps de se figer dans l’esprit de l’élève. La rétroaction est insuffisante et, lorsqu’elle est faite, elle vient trop tard.
- Les observations ont montré que les pratiques traditionnelles attribuent l’échec à l’élève. En Enseignement Explicite, “si l’élève n’a pas appris c’est que l’enseignant n’a pas enseigné” (S. Engelmann : « If the children aren't learning, we're not teaching »).
- Enfin le rapport à la recherche est complètement différent, l’Enseignement Explicite se tenant informé en permanence des divers apports pour être encore plus efficace alors que l’enseignement traditionnel ne s’en soucie pas.

 

« L’enseignement explicite appartient au courant républicain »

OUI - NON

Le courant républicain (dit aussi anti-pédagogiste) est né d’une critique virulente du mouvement constructiviste (dit pédagogiste), à qui il reproche d’avoir cassé les idéaux républicains en créant une école inégalitaire, la date fatidique étant 1968. Curieusement, il se réclame de l’école de Jules Ferry, semblant ignorer que celui-ci, dans ses prises de position pédagogiques, a semé les idées qui sont à l’origine de l’École Nouvelle, et dont par ailleurs se réclament aussi des personnes comme Philippe Meirieu. Pour exemple, un extrait :
« Nous voulons des éducateurs ! Est-ce là être trop ambitieux ? Non. Et je n’en veux pour preuve que la direction actuelle de la pédagogie, que les méthodes nouvelles qui ont pris tant de développement, ces méthodes qui consistent, non plus à dicter comme un arrêt la règle à l’enfant, mais à la lui faire trouver ; qui se proposent avant tout d’exciter la spontanéité de l’enfant, pour en diriger le développement normal au lieu de l’emprisonner dans des règles toutes faites auxquelles il n’entend rien, au lieu de l’enfermer dans des formules dont il ne retire que de l’ennui, et qui n’aboutissent qu’à jeter dans ces petites têtes des idées vagues et pesantes, et comme une sorte de crépuscule intellectuel. Ces méthodes, qui sont celles de Froebel et de Pestalozzi, ne sont praticables qu’à une condition : à savoir que le maître, le professeur, entre en communication intime et constante avec l’élève. »
(Déclaration de Jules Ferry au Congrès pédagogique des inspecteurs primaire du 2 avril 1880)

On comprendra donc que l’enseignement explicite ne s’inscrive absolument pas dans ce courant. La critique qu’il forme sur le mouvement constructiviste est uniquement d’ordre pédagogique. En effet, le constructivisme utilise pour la transmission des connaissances des moyens indirects tels que les situations de découverte. Alors que l’enseignement explicite utilise une transmission directe.

L’approche républicaine de l’enseignement est surtout politique alors que la seule approche de l’enseignement explicite est pédagogique.

 

« L’enseignement explicite s’appelle aussi Direct Instruction »

OUI - NON

Le Direct Instruction est une méthode pédagogique elle aussi à part entière, fondée par “Zig” Engelmann dans les années 60. Elle s’appuie également sur une transmission directe et structurée. C’est une méthode « clé en mains », elle se matérialise par un ensemble cohérent de manuels, de progressions, de tests d’évaluations, de scripts de leçons, toutes choses indispensables à sa mise en œuvre ; les enseignants qui s’y engagent suivent une formation préalable.

En Enseignement Explicite, ce n’est pas le cas : l’enseignant explicite se forme personnellement [1] et applique en classe les principes et procédures à partir du matériel à sa disposition.

 

« L’enseignement explicite s’appuie sur la méthode intuitive »

OUI - NON

F. Buisson [2] a défini la méthode intuitive, qui « consiste non dans l'application de tel ou tel procédé, mais dans l'intention et dans l'habitude générale de faire agir, de laisser agir l'esprit de l'enfant en conformité avec les instincts intellectuels. » La méthode intuitive « traite l'enfant comme un être qui a en lui-même l’'instinct du savoir et toutes les facultés nécessaires pour l'acquérir ; elle s'applique à laisser faire la nature autant que possible. »

Ce  bref extrait porte en germe les situations de découverte et les méthodes naturelles. À aucun moment en Enseignement Explicite, on n’utilise la découverte, même guidée. Tout ce qui peut être expliqué l’est systématiquement. Puis, quand l’enfant a acquis un certain nombre de connaissances et d'habiletés il est mis en autonomie devant des tâches de plus en plus complexes ; cela se produit uniquement lorsqu’il a acquis le matériau nécessaire pour résoudre ces problèmes. Les savoirs enseignés à l’école ne relèvent pas des apprentissages naturels, comme apprendre à parler. Ils ne peuvent pas s’acquérir naturellement et doivent faire l’objet d’un enseignement direct et explicite [3].

 

« L’enseignement explicite est instructionniste »

OUI - NON

Un raccourci de langage pousse souvent à dire que les pratiques explicites sont transmissives. Cela manque nettement de clarté. En effet, un constructiviste pourrait vous répondre qu’il transmet lui aussi et il aurait raison. Bien sûr, on peut légitimement s’interroger sur l’efficacité des divers modes de transmission, mais  la recherche a déjà répondu à cette question. En fait, c’est dans le moyen de transmission choisi que réside la différence. Le constructiviste choisit un moyen indirect, les situations de découverte, l’instructionniste choisit un moyen direct. L’enseignement explicite est donc instructionniste, il transmet directement : par une procédure explicite et reconnue efficace par les données probantes. On peut l’appeler aussi enseignement direct.

 

« L’enseignement explicite n’est la propriété intellectuelle d’aucun scientifique ni pédagogue »

OUI - NON

L’enseignement explicite est une méthode très spécifique, elle a été décrite avec précision et ses procédures ne peuvent être confondues avec celles d’autres méthodes. Même si effectivement aucun brevet commercial n’a jamais été déposé pour l'Enseignement Explicite, il serait malhonnête de nier que c’est Barak Rosenshine qui en est le père historique : il l’a formalisé après de nombreux travaux expérimentaux. Le modèle qu’il a constitué est toujours valide ; c’est celui qui est appliqué dans les classes aujourd’hui. Il continue d’être approfondi par de nombreux autres chercheurs qui contribuent à sa diffusion ; d’autres études de grande ampleur viennent confirmer ses conclusions chaque jour. Il faut en particulier souligner le rôle important des Canadiens Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard,  qui sont maintenant connus en France. Ils ont largement contribué à la diffusion du modèle dans notre langue ; sans eux les praticiens que nous sommes en seraient toujours à tâtonner. Les sciences cognitives qui heureusement commencent aux États-Unis à pénétrer le champ éducatif, nous permettent aujourd’hui de comprendre pourquoi ce modèle est efficace. On pourra citer dans ce domaine Sweller, Dweck , Willingham mais la liste n’est pas exhaustive.

L’Enseignement Explicite n’est pas sorti du néant, il n’est pas sorti du pragmatisme de quelques enseignants réunis dans une cafétéria pour échanger des recettes, il n’est pas sorti d’une utopie politico-sociale. Il est sorti des cerveaux de chercheurs qui ont passé des années à travailler sur la question dans des conditions parfois très difficiles [4]. La moindre des choses est de connaître leurs noms [5], de reconnaître leur mérite, et de leur accorder la paternité de ce mouvement pédagogique, à défaut de leur en accorder la propriété commerciale.

Il faudrait bien plus d’une page pour retracer l’histoire de l’Enseignement Explicite mais on peut d’emblée dire que si un jour elle est écrite, de nombreux scientifiques et pédagogues pourront s’en attribuer une part de la paternité.

 

« En enseignement explicite, l’enseignant est au centre »

OUI - NON

En Enseignement Explicite, il n’y a pas de hiérarchie des acteurs. L’enseignant n’est ni au centre ni à la périphérie. Pas plus que les élèves. Pas plus que les savoirs, qui ne sont pas d’inaccessibles et vénérables entités. Non, ce qui est le plus important en Enseignement Explicite c'est l’ensemble des interactions qui ont lieu dans le cadre des procédures permettant les apprentissages. C’est de cela que dépendra l’efficacité et c’est le souci permanent de l’enseignant.

 

« Tout enseignant pragmatique fait de l’enseignement explicite »

OUI - NON

Être dans un état d’esprit pragmatique est sans doute une bonne façon d’entrer dans l’Enseignement Explicite étant donné que celui-ci s’appuie sur la recherche (evidence based practice). Néanmoins, cette façon de faire ne s’invente pas et sauf à être un nouveau Rosenshine, on ne fait pas de l’explicite sans le savoir, même si l’on s’en rapproche. Être explicite en classe, au sens courant du terme, ne signifie pas forcément utiliser les procédures décrites par la méthode pédagogique explicite.

 

« L’enseignant explicite n’est ni un chercheur ni un expert »

OUI – NON

OUI - NON

Il est évident que l’enseignant explicite n’est pas un chercheur. Il est simplement un praticien.

Néanmoins, l’Enseignement Explicite a pour ambition d’en faire un véritable professionnel, c’est-à-dire un expert des pratiques pédagogiques. Cela consiste à être capable (et donc responsable) d’utiliser les moyens conduisant à la réussite des élèves. Dans un panel de méthodes et d’actions pédagogiques tamisées au filtre de l’expertise et des conclusions de la recherche, il choisira les mieux adaptées à la situation. Il est responsable de ce choix et rendra compte des résultats. Bien entendu, cela nécessite une connaissance actualisée des données probantes. On n’aurait pas l’idée de donner un remède dont l’efficacité n’aurait  pas été démontrée ; de la même manière, on ne peut pas utiliser une pratique pédagogique non reconnue comme efficace. L’Enseignement Explicite reconnaît l’enseignant comme un véritable professionnel : ses qualités principales sont celles de l’expertise, elles s’acquièrent par la formation. Les qualités personnelles telles que  l’intuition, le dévouement, l’expérience sont peut-être un plus mais inutiles sans la connaissance experte de l’acte pédagogique efficace.

 


[1] . Il n’existe actuellement en France aucun module relatif à l’Enseignement Explicite en formation initiale.

[2] . La méthode intuitive : F. Buisson - Extrait de la conférence sur l'enseignement intuitif, faite aux Instituteurs délégués à l'Exposition universelle de 1878 (Delagrave, éditeur, p. 331). Voir aussi cet article.

[3] . “Why Minimal Guidance During Instruction Does Not Work: An Analysis of the Failure of Constructivist, Discovery, Problem-Based, Experiential, and Inquiry-Based Teaching”, Educational Psychologist, 41(2), pp75-86 , 2006 Paul A. Kirschner, John Sweller et Richard E. Clark

[4] . Lire par exemple l’histoire du projet Follow Through : Teaching Needy Kids in our Backward System - 42 Years of Trying, Siegfried “Zig” Engelmann (ADI Press, Eugene - Oregon, 2007, 379 p.)

[5] . Il est impossible ici de donner une liste exhaustive de tous ceux qui ont contribué à parfaire l’Enseignement Explicite. Ceux qui sont intéressés les retrouveront sur notre site.

 
 
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