Qui a peur de l'Enseignement Direct ? Imprimer Envoyer
Pédagogie Explicite - Direct Instruction
Écrit par Normand Péladeau et Anick Legault   
Samedi, 01 Janvier 2000 00:00

Normand Péladeau et Anick Legault

Qui a peur de l'Enseignement Direct ?

Texte paru (pp.120-133) dans : N. Giroux, J. Forget, & collaborateurs (Eds.), Pour un (nouveau) départ assuré en lecture, écriture, mathématique et autres apprentissages personnels ou sociaux : guide pédagogique destiné aux enseignants en difficulté, 2000

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Inconnue au Québec, la méthode d'Enseignement Direct semble s'inscrire à contre-courant des modes pédagogiques qui prévalent dans nos départements universitaires de formation des maîtres et qui guident nos réformes en éducation depuis plus de 20 ans. Pour le peu qu'on en parle, on dira qu'il s'agit d'une approche à proscrire, voire même dangereuse, qui va à rencontre de ce que l'on sait du développement de l'enfant et des principes élémentaires de pédagogie. Et pourtant, cette méthode d'enseignement qui existe depuis la fin des années soixante, a permis à plusieurs millions d'enfants, de milieux défavorisés aux États-Unis, à apprendre à lire, à écrire et à compter, mais également à aimer l'école et à croire en eux-mêmes. Elle a souvent réussi là où toutes les autres ont échoué, en amenant les pires écoles situées dans les quartiers les plus pauvres, aux premiers rangs des écoles les plus performantes au pays. De plus, cette approche jouit d'un soutien empirique inégalé. En effet, de nombreuses recherches empiriques, y compris la plus grande étude comparative sur les méthodes d'enseignement jamais réalisée en Occident (c.-à-d. le projet Follow Through), ont démontré sa très grande efficacité et sa supériorité sur les autres approches.

Nous présenterons dans un premier temps les résultats de ces études et, plus particulièrement, ceux issus du projet Follow Through, pour ensuite décrire quelques éléments caractéristiques de l'Enseignement Direct (ED). Cette présentation permettra peut être de comprendre pourquoi bien des “experts” pédagogues préféreraient garder dans l'oubli les résultats de ces études, et dissimuler l'existence même de cette méthode d'enseignement.

 

L'Enseignement Direct et le projet Follow Through


À la fin des années soixante, débute aux États-Unis le projet Follow Through, l'étude la plus onéreuse et de la plus grande envergure jamais réalisée dans l'histoire de la recherche en éducation. Le projet en question, financé par le U.S. Office of Education au coût de plus d'un demi-milliard de dollars, consiste à favoriser l'implantation de différents modèles pédagogiques au niveau des classes préscolaires (maternelle) jusqu'à la troisième année du primaire pour ensuite comparer l'efficacité de ces approches. La population visée par cette étude est la clientèle à risque d'échec scolaire telle qu'identifiée par le projet Head Start, soit des enfants principalement issus de milieux défavorisés, dont la performance à l'école se situe sur le plan national aux alentours du 20e percentile (Stebbins, St-Pierre, Proper, Anderson et Cerva, 1977).

Dans ce projet, plusieurs théoriciens et experts en éducation préconisant diverses stratégies éducatives se voient financés pour devenir “commanditaires” ayant pour mission d'implanter leur modèle pédagogique dans plusieurs écoles de différents milieux, réparties sur tout le territoire américain. Chaque commanditaire s'engage ainsi à fournir à la communauté (direction, professeurs, parents, etc.) le matériel pédagogique, la formation et une assistance technique continue nécessaire pour favoriser l'implantation systématique de l'approche en question, tout en exerçant un contrôle sur la qualité de cette implantation.

De la vingtaine de commanditaires participants, treize modèles sont retenus pour participer à l'évaluation nationale [1] dont l'objectif est de comparer l'impact des différentes stratégies pédagogiques et d'identifier ainsi les modèles d'enseignement compensatoire les plus efficaces. Ces modèles sont regroupés, pour les besoins de l'évaluation, en trois grandes catégories :

1) Les modèles axés sur l'apprentissage des habiletés de base qui mettent l'emphase sur le développement des habiletés élémentaires telles que la lecture, l'écriture, le calcul arithmétique, l'orthographe et le vocabulaire et dans lesquelles on retrouve le modèle d'ED ;

2) Les modèles cognitivistes principalement axés sur l'apprentissage d'habiletés complexes de résolution de problèmes ou autres habiletés cognitives dites “supérieures”, toutes associées au développement de la capacité d'“apprendre à apprendre” ;

et 3) les modèles affectifs-cognitifs qui insistent sur l'importance de travailler initialement sur le développement de l'estime de soi et d'attitudes positives envers l'apprentissage, préalablement aux apprentissages d'habiletés cognitives complexes (résolution de problème, etc.). [2]

Le choix des mesures d'impact respecte la diversité des modèles par l'administration d'instruments permettant de mesurer autant l'acquisition des différentes habiletés de base, le développement d'habiletés cognitives complexes que la dimension affective, par des mesures d'estime de soi et d'attitude face à l'apprentissage.

Les résultats de l'évaluation nationale, rendus publics en 1976, font clairement ressortir la supériorité marquée d'un modèle sur l'ensemble des autres. Les enfants ayant été soumis à un enseignement selon le modèle d'ED se classent premiers sur chacune des habiletés de base, soit premiers en lecture, en orthographe, en langue, et en arithmétique. Ces données concordent avec les conclusions plus générales du rapport selon lesquelles, les modèles axés sur l'acquisition des habiletés de base obtiennent de meilleurs résultats lorsqu'on évalue la performance des élèves sur ces critères. Fait plus surprenant encore, les enfants des classes d'ED se classent premiers sur les tests d'habiletés cognitives ainsi que sur les mesures d'estime de soi et d'attitudes face à l'apprentissage. L'ampleur des écarts entre les effets mesurés de l'ED et des autres modèles est également notable. Alors que l'enseignement traditionnel appliqué aux différentes écoles de contrôle maintiennent les enfants au 20e percentile à l'échelle nationale, et que la plupart des autres modèles expérimentés ne réussissent que rarement à dépasser ce niveau, les quelques 9 000 enfants soumis au modèle d'ED obtiennent des résultats s'approchant ou dépassant le 50e percentile et ce, pour l'ensemble des mesures recueillies (Becker, Engelmann, Carnine et Rhine, 1981). Les résultats de l'évaluation nationale démontrent non seulement la supériorité des approches basées sur l'acquisition des habiletés de base et plus particulièrement de la méthode d'ED, mais révèlent aussi la présence d'effets potentiellement dommageables des modèles cognitifs et affectifs-cognitifs. Ainsi, les auteurs du rapport concluent en ce qui a trait à la performance mesurée sur les habiletés de base :

Where models have put their primary emphasis elsewhere than on the basic skills, the children they served have tended to score lower on tests of these skills that they would have done without Follow Through. (Stebbins et al., p. 146).

En soi, la présence de tels effets négatifs n'est pas nécessairement en contradiction avec le rationnel théorique de plusieurs de ces modèles cognitifs et affectifs-cognitifs. Rappelons que, pour plusieurs de ces modèles, l'intervention initiale doit mettre l'emphase non pas sur ces habiletés de base, mais sur l'acquisition d'habiletés et d'attitudes d'un tout autre niveau. L'observation d'un tel retard dans les premières années de fréquentation scolaire devrait normalement être suivie d'un rattrapage important à moyen ou à long terme. Toutefois, l'incapacité de ces modèles à produire également des changements positifs sur les habiletés ciblées, même après trois années complètes d'intervention, amène les auteurs du rapport à émettre de sérieuses réserves quant à la valeur d'un tel rationnel :

To interpret such a negative effect in a positive light, one would have to show that (a) the Follow Through children gain more of the higher order skills than do the non Follow Through, and (b) the higher skills actually do transfer eventually to the basic proficiencies. Up to third grade, and judging by the measures in the Follow Through battery, we have found little evidence of such a process. (p 160)

La robustesse des conclusions issues du projet Follow Through quant à la valeur du modèle d'ED ne fait aucun doute. En réponse à de nombreuses critiques adressées à cette étude, toutes les réanalyses effectuées sur les données originales dans le but de corriger certaines erreurs ou lacunes des analyses initiales, n'ont pu que confirmer la supériorité de cette méthode (Becker et Carnine 1981 ; Bereiter et Kurland, 1981-1982 ; House, Glass, McLean et Walker, 1978). Par ailleurs, de nombreuses études indépendantes effectuées par la suite, confirment la très grande efficacité de cette approche. Ainsi, dans une méta-analyse portant sur les résultats de 25 études comparatives, White (1988) calcule une mesure d'ampleur d'effet se situant à 0,84, ce qui représente un effet d'intervention très important. À titre de comparaison, l'ampleur d'effet médiane calculée par Lipsey et Wilson (1993) sur 179 méta-analyses touchant le domaine de l'éducation se situe à 0,38. Plus récemment, Adams et Engelmann (1996) effectuent une autre méta-analyse sur 37 études comparatives et rapportent que sur un total de 173 comparaisons, 151 tests sont favorables à l'ED et 11 tests ne démontrent aucune différence entre la méthode d'ED et le groupe de comparaison. Seulement 21 des comparaisons favorisent l'enseignement traditionnel. L'ampleur de l'effet, mesuré sur l'ensemble de ces études se situe à 0,82 dans le cas des classes régulières et à 0,90 pour les classes d'éducation spécialisée. Les analyses plus détaillées démontrent que l'approche s'avère efficace autant pour les enfants du primaire et du secondaire qu'auprès des populations adultes, et que ces effets sont constamment positifs quels que soient le niveau d'expérience de l'enseignant, la durée de l'implantation, la mesure utilisée pour effectuer les comparaisons ou le devis de l'étude.

 

Les effets à long terme de Follow Through


Parmi l'ensemble de ces études, certaines sont d'un intérêt particulier puisqu'elles nous éclairent quant aux effets possibles à long terme de la méthode d'ED. Rappelons qu'un des motifs ayant justifié la création du projet Follow Through était l'observation selon laquelle les effets bénéfiques mesurés chez les enfants ayant participé à des activités de stimulations préscolaires dans le cadre du projet Head Start s'estompaient très rapidement dès que les enfants intégraient les classes du primaire. Il est donc important de soulever la question à savoir dans quelle mesure les gains observés chez les enfants ayant bénéficié de l'ED à l'issue des trois premières années du primaire se maintiennent lorsque ces mêmes élèves poursuivent leurs études dans des classes traditionnelles. D'autre part, les critiques du modèle d'ED ont souvent adressé des mises en garde aux éducateurs et aux parents quant aux effets potentiellement dommageables d'un tel type d'enseignement en évoquant, sans le moindre appui empirique, la menace d'effets négatifs à long terme tels que le manque de motivation et le décrochage scolaire.

Or les quelques études de suivi réalisées auprès des enfants de Follow Through démontrent, qu'en dépit d'une diminution progressive de ces écarts, les performances scolaires des élèves ayant bénéficié de la méthode d'ED et réintégré dans une classe traditionnelle, demeurent supérieures à celles des enfants des groupes de comparaison (Becker et Gersten, 1982) et ce, même à la fin de leur neuvième année (Meyer, 1984 ; Gersten, Keating et Becker, 1988). D'autres études ont également observé un plus haut taux de diplômation et un plus faible taux d'abandon scolaire chez ces élèves au terme du secondaire (Darch, Gersten et Taylor, 1987 ; Meyer, Gersten et Gutkin, 1983). Meyer et al. (1983), constatent aussi, à la fin des études secondaires, un taux près de deux fois supérieur de demande d'admission au collège ainsi qu'un taux d'acceptation deux fois supérieur dans les cas d'élèves ayant bénéficié de 3 ou 4 ans d'ED lors du premier cycle du primaire.

Suite à la publication des résultats de Follow Through et, sans doute en raison de son succès retentissant, la méthode de l'ED a été l'objet de critiques importantes des tenants des autres approches et ce, dans le but de discréditer la méthode. Des efforts délibérés ont été déployés pour décourager, voire même interdire l'utilisation de cette méthode dans les classes de plusieurs États américains. Ainsi, en 1988, suite aux pressions d'une commission sur l'accréditation des programmes d'enseignement et du matériel pédagogique, le Califomia State Board of Education refusait l'accréditation des manuels d'ED pour l'apprentissage de la lecture. Un an plus tard, après une bataille juridique, la Cour Suprême de l'État, reconnaissait l'organisme gouvernemental coupable d'avoir erré dans l'application des politiques administratives entourant l'accréditation du matériel pédagogique (Engelmann, 1992). Sur la scène nationale, dès le début des années 80, le National Council of Teachers in Mathematics adoptait une position s'appuyant sur les travaux de Bruner et de Piaget clairement en opposition aux principes à la base de l'ED. S'appuyant sur ces positions, l'État de l'Oregon refusait à son tour l'accréditation des manuels d'enseignement des mathématiques par la méthode de l'ED. Dans une analyse fascinante des dessous politiques du projet Follow Through, Watkins (1997) documente également comment l'approche de l'ED s'est vue écartée des programmes fédéraux de subvention de recherche et de financement aux écoles pour l'implantation de nouvelles approches pédagogiques.

 

Qu'est-ce que l'Enseignement Direct ?


Comment peut-on expliquer des réactions aussi négatives face à une méthode d'enseignement obtenant des résultats aussi prodigieux ? Déjà, dans la première partie, nous avons esquissé un élément de réponse en constatant le cuisant échec subi par la plupart des nouveaux courants pédagogiques dans le cadre du projet Follow Through. La description qui suit du modèle d'Enseignement Direct permettra sans soute d'apporter de nouveaux éléments de réponse. Nous pourrons constater comment, à plusieurs égards, cette méthode contredit biens des courants actuels en pédagogie et propose des moyens d'intervention diamétralement opposés à ce que l'on affirme être appropriés. Cette description ne peut cependant être exhaustive et ne vise en fait qu'à donner un bref aperçu de ce qui caractérise la méthode d'ED.

Une approche résolument empirique

Un des principes de base sous-jacents à l'ED est que tous les élèves peuvent apprendre si on leur fournit des leçons bien construites et les occasions de pratiquer. Siegfried Engelmann, principal instigateur de cette méthode, dénonce avec véhémence la tendance des pédagogues à évoquer trop facilement les déficits développementaux ou socioculturels pour expliquer l'échec des élèves (Engelmann, 1992). Pour cet auteur, il faut impérativement partir du principe selon lequel, si certains élèves soumis à une leçon ne réussissent pas adéquatement, c'est la méthode qui est en faute et qu'il faut réviser le contenu de la leçon. En accord avec cette position, la construction de tout matériel pédagogique dans une perspective d'ED implique que chaque leçon doit d'abord être soumise à une vérification systématique auprès d'élèves de tous les âges et de différents niveaux d'habileté, avant d'être adoptée et diffusée. L'effet mesuré sur ces élèves ainsi que les commentaires et réactions des élèves et des enseignants sont soigneusement notés et donnent lieu à des révisions de contenus, qui sont par la suite testés à nouveau. Cette démarche contraste grandement avec les pratiques en vigueur dans le domaine de la publication de matériel didactique. Alors que la plupart des manuels scolaires actuellement sur le marché ont été publiés sans jamais avoir été testés préalablement auprès d'élèves, le matériel développé par Engelmann et ses collaborateurs, est le résultat de plusieurs années de mise à l'essai et de nombreuses révisions. Adams et Engelmann (1996) mentionnent que ce travail de pré-publication a entraîné à maintes reprises des changements tels que la troisième version d'un programme comportait moins de 10 % du contenu de la version originale. À au moins quatre reprises, ce travail de validation et de révision s'est soldé par la destruction du programme dans sa totalité.

Outre ce travail empirique de révision et de validation du matériel didactique, les chercheurs en ED sont également instigateurs de nombreuses études expérimentales en milieu naturel ou de laboratoire visant à vérifier empiriquement l'efficacité de stratégies d'enseignement. Il est clair que, plus que toute autre approche pédagogique en vogue actuellement, le modèle de l'ED s'inscrit dans une tradition scientifique. En fait, lorsqu'on examine les travaux de recherche des experts dans le domaine, on ne peut qu'être frappé par la spécificité de ces études où le plus petit détail de l'enseignement fait l'objet d'une vérification empirique. Quant aux éléments n'ayant pas été soumis à de telles vérifications, ils sont clairement identifiés dans le but explicite de favoriser l'étude sur le sujet. L'ouvrage de Carnine, Silbert et Kameenui (1997) sur l'enseignement de la lecture illustre très bien ce fait. Outre les descriptions d'activités pédagogiques, on y retrouve une quantité importante de résultats de recherches portant exclusivement sur l'enseignement de la lecture. À titre d'exemple, dans le contexte de l'apprentissage de la langue qui, dans l'ED, se fait initialement selon une stratégie phonétique synthétique, plusieurs études ont été entreprises dans le but de vérifier l'effet de la séquence d'introduction des lettres et des sons sur l'apprentissage. Les auteurs en viennent ainsi à la conclusion que les premières lettres devant être introduites sont celles comportant généralement qu'un seul son, tandis que les lettres associées à différents sons devront être introduites plus tard. D'autres études démontrent que les consonnes à son continu (comme le S, le L, le V et le M) ont avantage à être introduites avant celles associées à un son discontinu (« stop sound ») comme le P, le B et le T. Ils ont aussi découvert que l'apprentissage du nom des lettres ne facilite pas nécessairement le décodage des mots, et qu'il était possible d'obtenir des résultats tout aussi bons, sinon  supérieurs, en apprenant directement à l'enfant le lien entre les lettres et leur son, sans l'acquisition préalable du nom des lettres. Ces chercheurs ont également comparé la difficulté d'apprentissage selon que les lettres présentant une similitude au niveau graphologique ou phonétique sont présentées conjointement ou éloignées dans le temps et l'espace. Ils concluent de ces recherches à la supériorité d'une présentation éloignée dans le temps. L'ouvrage rapportent plusieurs recherches ayant étudié la séquence d'introduction des différentes combinaisons de consonnes (C) et voyelles (V) (ex. syllabes CV, VC, CVC, CVCC, etc.) sur la facilité d'apprentissage dans le but d'identifier les séquences d'apprentissage les plus efficaces. Ils mentionnent plusieurs études qui  démontrent que, quelle que  soit la méthode que l'on utilise pour l'apprentissage de la lecture (approche globale ou phonétique), l'image accompagnant les mots dans les manuels d'initiation à la lecture autant que les indices tirés du contexte de lecture réduisent sensiblement la capacité de l'enfant à décoder de nouveaux mots. Les enfants ayant appris à décoder les mots sans le soutien d'images ou du contexte vont être en mesure de décoder environ 75 % des nouveaux mots contre seulement 25 % pour les enfants ayant appris à décoder ces mêmes mots accompagnés d'images.

C'est également sur la base de données de recherches qu'ils ont adopté une méthode d'apprentissage de la lecture basée sur une stratégie phonétique de type synthétique (apprentissage successif et explicite des associations lettres-sons, syllabes-sons) plutôt que globale et analytique (reconnaissance des lettres et syllabes associées à des sons communs dans des mots différents).

Un contenu minutieusement structuré

Si la validation empirique auprès d'élèves constitue le critère ultime permettant de déterminer la valeur d'un curriculum, les concepteurs de curricula en ED disposent néanmoins d'un cadre d'analyse complexe et très précis pour guider la construction de tout nouveau programme et ainsi augmenter les chances que le matériel développé soit jugé efficace (Engelmann et Carnine, 1991). Une description de ce cadre d'analyse dépasse largement les objectifs du présent chapitre. Nous nous contenterons de n'en donner qu'un bref aperçu. Les personnes intéressées à en connaître d'avantage pourront consulter l'ouvrage Theory of Instruction : Principles and Applications de Engelmann et Carnine (1991).

Selon ce modèle, le développement d'un curriculum doit reposer sur trois niveaux d'analyse : l'analyse du champ de connaissance, l'analyse de la communication enseignant-élève, et l'analyse du comportement de l'élève. Le premier niveau consiste en un examen détaillé du domaine en question (p. ex., l'algèbre, la lecture, etc.), afin de déterminer les différentes classes logiques et la structure des relations existant entre les différents concepts et habiletés à apprendre. Cette analyse donne lieu à l'établissement d'une séquence de concepts devant être enseignée, séquence qui reflète un niveau croissant de complexité et qui tient compte des notions et habiletés nécessaires à la compréhension de chacun des niveaux de la séquence. Autrement dit, l'acquisition des habiletés dites “de haut niveau” nécessite la maîtrise préalable d'habiletés de base. Une fois cette séquence en place, chaque étape est traduite en leçons où l'on retrouve une formulation exacte de la présentation par l'enseignant, ainsi que tous les exemples devant être présentés par celui-ci, afin d'assurer une communication sans faille (faultless communication), nécessaire à une bonne compréhension par l'élève (Becker et al., 1981 ; Engelmann et Carnine, 1991).

Cette notion de communication sans faille est centrale à l'analyse de la communication enseignant-élève. Elle implique que toute explication fournie par l'enseignant se doit d'être sans ambiguïté, c'est-à-dire ne permettant qu'une seule interprétation. Elle se doit également de fournir des exemples suffisamment variés pour permettre une généralisation et un transfert adéquat du concept à de nouvelles situations. Un des moyens privilégiés pour atteindre cet objectif est l'utilisation d'une série d'exemples et de contre-exemples qui s'appuie sur quatre observations empiriques (Engelmann et Carnine, 1991) :

Observation #1

Il est impossible d'enseigner un concept par la présentation d'un seul exemple. Il arrive très souvent qu'un enseignant ou un manuel scolaire se contente de présenter un seul exemple d'un concept en espérant que l'élève en saisisse le sens approprié. Cependant, celui-ci peut associer le concept présenté à toute autre propriété de l'exemple qui est non pertinente. Ainsi, si l'enseignant présente à un élève un crayon rouge déposé sur un pupitre pour illustrer le concept “rojo” (espagnol de “rouge”), l'élève pourrait tout aussi bien associé le terme “rojo” à la couleur rouge qu'aux propriétés suivantes: “crayon”, “horizontal”, “objet pour écrire”, “objet en bois”, “sur le pupitre”, etc.

Observation #2

Il est impossible de présenter un groupe d'exemples positifs permettant d'en arriver à une seule interprétation. Il est essentiel de présenter plusieurs exemples positifs d'un même concept pour assurer la généralisation du concept. Pour reprendre l'exemple précédent, l'enseignant pourrait pointer une multitude d'objets de couleur rouge et devrait également s'assurer de varier la teinte de rouge de ces objets pour s'assurer que l'élève généralise la notion de “rojo” à l'ensemble des teintes possibles de la couleur rouge. Malgré cela, tout ensemble d'exemples positifs peut malgré tout générer plus d'une interprétation possible. L'élève à qui l'on présente un livre, un crayon, une règle et un trombone rouge pourrait associer la notion “rojo” à tout “matériel scolaire” ou à un “objet dans une classe”.

Observation #3

Toute similitude partagée par un exemple et un contre-exemple permet d'éliminer une interprétation possible. Pour l'ED, l'utilisation de contre-exemples est essentielle à une bonne compréhension. Il est néanmoins important, lorsque l'enseignant présente un exemple et un contre-exemple, de s'assurer que ces deux éléments comportent au moins une propriété commune. La raison en est fort simple : toute propriété commune aux deux éléments ne peut rendre compte du fait que ces deux éléments sont traités différemment. Ainsi, en présentant un crayon rouge sur un pupitre comme exemple et un livre bleu également sur ce pupitre, on élimine la possibilité que la différence soit attribuable aux éléments communs tels “matériel scolaire” ou “sur le pupitre”.

Observation #4

Un contre-exemple permet d'éliminer le maximum d'interprétations possibles lorsqu'il est le plus semblable possible à l'exemple positif. Puisque chaque propriété commune à un couple exemple/contre-exemple permet d'éliminer une interprétation possible, il en découle que plus les deux éléments comportent de propriétés communes, plus grand sera le nombre d'interprétations alternatives qui s'en trouveront éliminées. Ainsi, choisir comme exemple un crayon rouge sur un pupitre et comme contre-exemple un crayon bleu sur ce même pupitre permettra d'éliminer la plupart des interprétations possibles, d'autant plus que les deux crayons auront la même taille, la même apparence, seront disposés sur ce bureau selon le même angle, etc.

À ces quatre observations s'ajoutent également plusieurs principes de présentation où le vocabulaire utilisé est minutieusement choisi, la séquence de présentation des séries d'exemples/contre-exemples est optimisée pour ainsi maximiser la facilité et la vitesse avec laquelle l'élève en viendra à accomplir les bonnes discriminations et généralisations. Le choix des questions utilisées pour tester la compréhension chez l'élève implique une série de règles précises qui diffèrent selon que l'on cherche à mesurer l'acquisition ou le transfert de l'apprentissage.

Cette description des principes de juxtaposition d'exemples ne représente en fait qu'une illustration du niveau de structure impliqué dans la construction du matériel pédagogique en ED et plus précisément de l'analyse de la communication enseignant-élève.

Le troisième niveau d'analyse porte non pas sur le contenu même du matériel, mais sur le comportement de l'élève, particulièrement lorsque celui-ci ne parvient pas à acquérir les habiletés ciblées en dépit d'une présentation où la communication s'est faite sans faille. À ce niveau d'analyse, les lois régissant le comportement entrent en jeu et déterminent quelles seront les modalités d'enseignement, la quantité de pratiques et d'exercices de révision, la distribution des essais dans le temps, l'utilisation des programmes de renforcement ou tout autre facteur pouvant favoriser l'acquisition ou la consolidation des apprentissages. Ce niveau d'analyse se reflète non seulement dans les consignes et recommandations liées à la gestion de classe et des enseignements (voir, entre autres, les sections Un enseignement axée sur la pratique intensive et Une gestion de classe favorisant la réussite de tous), mais également dans le matériel pédagogique développé. Il faut réaliser que le matériel d'ED ne se contente pas uniquement de présenter le contenu de la matière d'une façon structurée, mais comporte aussi des tests diagnostiques permettant d'identifier la présence d'un problème chez l'élève et d'en préciser la nature ainsi que des activités correctrices pour ces différents types de problèmes.

Une implantation contrôlée

Nous avons pu constater, dans la section précédente, comment le matériel en ED fait l'objet d'une structuration très minutieuse où le vocabulaire et les exemples présentés sont soigneusement choisis dans le but d'optimiser l'apprentissage de l'élève. Quoique la valeur d'un tel programme ne pourra jamais dépasser la qualité de son implantation. Pour cette raison, une formation est essentielle afin que l'enseignant puisse apprendre comment doit être dispensé l'enseignement. Or dans tout matériel d'ED, non seulement la séquence des leçons est structurée, mais également les consignes et les explications fournies par l'enseignant. Les guides pédagogiques contiennent bien plus que des indications sur les objectifs d'une leçon et d'une description générale des activités pour les atteindre et les évaluer. On y retrouve un véritable scénario où chaque explication donnée par l'enseignant y est inscrite textuellement. Non seulement ce qu'il doit dire est inscrit, mais aussi ce qu'il doit faire. Il doit apprendre à signaler aux élèves le moment où ils doivent répondre à l'unisson (voir la section Un enseignement axée sur la pratique intensive) et à appliquer les mesures de correction. L'enseignant ne peut reformuler les explications en ses propres mots ou ajouter de nouveaux exemples. Il doit, le plus possible, tenter de mémoriser partiellement ce scénario pour éviter de lire machinalement les instructions. Comme pour les bons orateurs ou les acteurs, on ne lui demande pas d'apprendre par cœur l'ensemble des énoncés d'une leçon, mais plutôt de devenir suffisamment familier avec son contenu pour pouvoir communiquer la leçon le plus fidèlement possible tout en gardant un contact visuel avec son auditoire.

Ce qui pourrait, au premier abord, paraître comme un excès de contrôle sur le travail de l'enseignant, se justifie de plusieurs façons. Des observations faites en classe ont démontré que la grande majorité des enseignants du primaire à qui on laisse la liberté d'énoncer en leurs propres mots les consignes et les explications, utilisent souvent des mots qui ne sont pas compris par tous les élèves ou utilisent une syntaxe difficile à comprendre par ceux-ci, et particulièrement par les plus faibles (Becker et al., 1981). Par ailleurs, aussi expérimentés soient-ils, lorsqu'ils génèrent eux-mêmes les exemples, ils ne réussissent pratiquement jamais à éliminer toutes les interprétations possibles, comme le ferait une séquence d'exemples et de contre-exemples préétablis.

Ce contrôle imposé à la tâche de l'enseignant est sans aucun doute l'une des principales réticences de ceux-ci à adopter la méthode d'ED. Ceux qui le font sont initialement très mal à l'aise et ressentent le besoin de pratiquer. Le rythme accéléré des leçons est également épuisant au début, même pour les enseignants les plus expérimentés. Cronin (1980) rapporte que la majorité des enseignants utilisant la méthode pour la première fois entretiennent des attitudes négatives face à l'ED lorsqu'ils commencent à l'appliquer. Toutefois, on observe un changement d'attitude très marqué au bout de six mois lorsque les enseignants constatent que leurs élèves ont atteint des niveaux de compétence qu'ils croyaient impossibles auparavant (Cronin, 1980 ; Gersten, Keating et Becker, 1986). Une fois familiers et à l'aise avec le format de présentation, les enseignants constatent que la méthode s'accompagne d'une économie de temps, puisqu'ils n'ont plus à préparer leur enseignement (les activités), à trouver eux-mêmes des exemples ou à préparer du matériel de pratique. De plus, l'augmentation du rendement scolaire qu'ils constatent sur l'ensemble des élèves, diminue la nécessité d'offrir un encadrement aux élèves en difficulté, puisque leur nombre décroît.

Un autre argument quelquefois évoqué pour s'opposer aux leçons scénarisées en ED, est qu'un tel contrôle sur l'activité d'enseignement revient à considérer l'enseignant non pas comme un professionnel, mais tout au plus comme un technicien puisqu'on lui enlève cette liberté “académique” de s'exprimer. Cependant, comme le souligne Frederick, Deitz, Bryceland et Hummel (2000), c'est le propre des professions les plus prestigieuses d'établir des protocoles précis visant à assurer la qualité du travail de ses membres. Le médecin chirurgien qui s'apprête à faire une opération délicate ou l'architecte qui conçoit les plans pour la construction d'un pont sont tous deux soumis à des procédures préétablies souvent très strictes permettant d'assurer la qualité du résultat, la sécurité ou la santé de la population. Le fait qu'ils soient ainsi contraints de suivre de telles procédures ne réduit en rien leur professionnalisme ni même leur capacité à innover. Au contraire, c'est précisément le refus d'appliquer une telle procédure, reconnue d'assurer l'atteinte de meilleurs résultats, qui sera interprétée comme la manifestation d'un manque de professionnalisme.

Un enseignement axé sur la pratique intensive

Pour l'ED, un des principaux objectifs d'un enseignement efficace devrait être d'accélérer le rendement des élèves (Adams et Engelmann, 1996). Autrement dit, on doit tenter, dans la mesure du possible, d'enseigner plus en moins de temps et de faire en sorte que les élèves dépassent les attentes générales que le système d'éducation entretient face à des enfants du même âge et de la même origine socio-démographique. Cet objectif d'enseigner plus en moins de temps devient une nécessité dans le cas des enfants de milieux défavorisés ou en difficulté d'apprentissage, si l'on désire qu'ils rattrapent le niveau atteint par leurs pairs ou des enfants de classes moyennes. Parmi les moyens permettant d'obtenir un apprentissage rapide, la pratique répétée est sans doute la stratégie la plus privilégiée. En ED, l'enfant doit demeurer actif et concentré sur la tâche et ce, même lorsque l'enseignant présente une nouvelle matière à l'ensemble de la classe. Pour ce faire, l'enseignant a recours à une technique de réponses à l'unisson, où tous les enfants doivent répondre verbalement et d'une seule voix, à une question simple posée par l'enseignant. Chaque leçon lue par l'enseignant indique clairement à celui-ci à quel moment il doit poser la question. Les enfants ont également appris à attendre un signal précis donné par leur enseignant avant de répondre. Le rythme des réponses des élèves est généralement assez élevé et peut même atteindre, dans certains cas, des taux de 20 réponses ou plus à la minute. Lors de ces sessions de réponses à l'unisson, l'enseignant doit s'assurer que chaque élève répond en portant attention aux mouvements des lèvres de l'enfant, mais aussi à la position de ses yeux. Si l'enfant ne le regarde pas ou ne regarde pas le matériel présenté, il est possible que celui-ci tente de mimer la bonne réponse en se référant sur les lèvres des autres élèves.

Cette composante de l'ED est souvent perçue négativement par des observateurs externes qui associent ces réponses unanimes, données à un rythme accéléré, à un exercice de drill militaire. Pour ces observateurs, il s'agirait d'une démonstration très claire que l'ED repose essentiellement sur la mémorisation. Nous répondrons plus tard à cet argument, mais pour l'instant attardons-nous à comprendre le rationnel qui justifie l'utilisation de cette technique.

C'est un fait reconnu que la pratique répétée d'une habileté est un moyen très efficace pour établir et consolider un apprentissage. La technique des réponses à l'unisson représente, en quelque sorte, un moyen réaliste d'obtenir un taux de réponses, de la part des élèves, beaucoup plus élevé et une rétroaction immédiate fournie par la réponse de l'ensemble des élèves et par l'enseignant. Un autre avantage de cette exigence de répondre régulièrement, est de maintenir l'attention de l'élève, puisqu'il doit demeurer prêt à répondre à une question en tout temps. Il ne faut pas voir la technique des réponses à l'unisson comme une fin en soi, mais un moyen jugé efficace, précisément parce qu'il permet d'obtenir cette participation élevée et ce niveau soutenu d'attention. En fait, toute activité qui permettrait d'obtenir un tel taux de réponse de la part de l'élève pourrait être utilisée dans le contexte d'un cours donné selon l'ED. Cette approche cependant ne se limite pas à ce seul moyen et utilise d'autres techniques dont l'enseignement réciproque et le tutorat. On pourrait même affirmer que ce type d'activité n'est nullement nécessaire à l'approche de l'ED. À titre d'exemple, il existe sur le marché un manuel destiné aux parents pour apprendre aux enfants d'âge pré­scolaire la lecture (Engelmann, Haddox et Brunner, 1983). Ce livre s'inspire directement du programme DISTAR (Direct Instruction System for Teaching And Remediation), développé par Engelmann et ses collègues et utilisé aux États-Unis comme manuel pédagogique pour l'enseignement de l'anglais. On y retrouve la même approche phonétique synthétique, présentée selon une séquence prédéfinie et comportant également des scénarios préétablis que le parent devra lire à l'enfant. Mais comme il s'agit d'un contexte d'enseignement individualisé où un parent interagit avec un enfant, il n'est pas question de réponses à l'unisson. Il ne s'agit pas moins d'une approche d'ED.

En fait, on doit voir la technique de réponses à l'unisson comme une solution aux problèmes inhérents à l'enseignement magistral traditionnel. Si les cours magistraux traditionnels ont la réputation d'être si peu efficaces, c'est précisément parce que l'élève demeure passif tout au long de l'exposé. Même aujourd'hui, les enseignants appliquant des méthodes dites “non-traditionnelles”, dispensent une bonne partie des enseignements de façon magistrale. La vérification de la compréhension de la matière, ou des instructions données aux élèves, se fait généralement au moyen de questions soulevées à toute la classe. L'enseignant se contente alors d'une réponse de la part d'un seul élève de la classe. Il n'est pas surprenant de constater, avec ce type d'intervention, que les élèves n'auront répondu en moyenne qu'à seulement 2 ou 3 questions au cours d'une journée complète. Il s'agit ici d'une moyenne qui cache le fait que certains élèves auront répondu plus que d'autres, tandis que d'autres élèves n'auront répondu à aucune des questions.

Revenons maintenant à la critique selon laquelle l'ED reposerait essentiellement sur la mémorisation. Cette critique surprendra d'autant plus les personnes familières avec l'approche, qu'un principe important découlant de l'objectif d'accélérer le rythme d'apprentissage est précisément d'éviter la mémorisation. On veut plutôt centrer les enseignements sur l'acquisition d'habiletés génériques applicables à un grand nombre de situations. Ainsi, Adams et Engelmann (1996) affirment :

The Direct Instruction orientation toward acceleration implies that the effort must focus heavily on the teaching of generalizations, not rote learning. Generalizations represent efficiency, whereas rote learning represents inefficiency. (p. 4)

Deux exemples devraient permettre d'illustrer comment l'ED réussit à réduire la nécessité de mémoriser par l'acquisition de stratégies généralisables. L'apprentissage de l'orthographe est un domaine qui, encore aujourd'hui, repose presque essentiellement sur la mémorisation. Typiquement, dans une classe du primaire, l'élève reçoit en début de semaine, une liste d'une dizaine ou d'une vingtaine de mots. Il devra pratiquer l'épellation de ces mots afin de se préparer au contrôle, généralement sous forme de dictée administrée à la fin de la semaine. La semaine suivante, on lui remettra une nouvelle liste de mots différents. Il est clair, dans cette approche, que l'on privilégie la mémorisation par l'élève de l'orthographe de chacun des mots. La méthode développée par Dixon (1993) et utilisée en ED, propose plutôt d'apprendre à l'élève une stratégie où celui-ci doit décomposer le mot en ses différents morphèmes lexicaux (préfixes, radicaux et suffixes). En réduisant l'apprentissage à quelques centaines de morphèmes (dont l'orthographe de plusieurs lui est déjà familière), l'élève pourra ainsi épeler correctement plusieurs dizaines de milliers de mots, y compris un grand nombre de mots qu'il n'a jamais vu. Un deuxième exemple d'effort de l'ED pour diminuer la mémorisation, tient à la décision d'adopter une approche de l'enseignement de la lecture basée sur la méthode phonétique plutôt que globale. Nous trouvons par ailleurs assez paradoxal d'entendre les pédagogues qui s'accommodent d'une approche globale de la lecture, accuser l'ED et les autres approches phonétiques en lecture de trop reposer sur la mémorisation. Il a été de nombreuses fois démontré que la méthode globale nécessite beaucoup plus d'efforts de mémorisation de la part de l'élève, qu'une approche phonétique. Ainsi Flesch (1981) estime que les élèves qui apprennent la lecture à l'aide d'une approche essentiellement globale seront en mesure de lire correctement, au terme de leur deuxième année, un peu plus de mille mots différents. Tandis que le nombre de mots lus correctement par des enfants ayant appris à l'aide d'une approche phonétique sera, à l'issue d'une première ou d'une deuxième année, d'environ 24 000 mots. Cet écart est facile à comprendre. Dans une approche globale, l'élève en vient à lire correctement un mot par la reconnaissance globale de ce mot. Il est souvent impossible pour lui de reconnaître un mot qu'il n'a jamais vu auparavant. Au contraire, avec une approche phonétique, l'apprentissage de tout au plus une quarantaine de correspondances graphème-phonème est suffisant pour pouvoir décoder et lire correctement plusieurs dizaines de milliers de mots, dont un grand nombre que l'enfant n'a jamais vu auparavant. Pour Becker (1992), le temps requis pour apprendre à un élève l'ensemble des règles de base de la phonétique ne permet à un enseignant utilisant une méthode de reconnaissance globale de n'enseigner que tout au plus 80 ou 100 mots.

En fait, cette accusation de mettre trop d'accent sur la mémorisation s'explique par une confusion entre la forme, en l'occurrence la technique de réponses à l'unisson, et le contenu. Les concepteurs travaillant en ED tentent le plus possible d'identifier les stratégies permettant de réduire le nombre d'apprentissages requis. Après avoir identifié ces stratégies généralisables, ils vont tout mettre en œuvre pour faciliter l'acquisition rapide, le maintien et l'application de ces stratégies. Et pour ce faire, ils ont recours à des pratiques répétées et des révisions constantes. La technique de réponses à l'unisson n'est qu'une des techniques utilisées pour atteindre ces objectifs.

Il est également clair que l'on ne peut raisonnablement échapper complètement à la nécessité de faire certains apprentissages par un processus de mémorisation et ce, peu importe l'approche adoptée. Tous les élèves doivent un jour ou l'autre apprendre le nom des lettres et celui des jours de la semaine. À cet égard, l'ED propose des méthodes efficaces pour rendre ces apprentissages plus faciles et plus rapides en intervenant sur la séquence d'introduction des éléments à mémoriser ainsi sur que la distribution des pratiques dans le temps.

Une gestion de classe favorisant la réussite de tous

L'approche de l'ED s'intéresse non seulement à la structuration du contenu dans le matériel pédagogique et la façon d'enseigner, mais aussi à toute la question de la gestion de classe. On retrouve dans l'ouvrage de Carnine et al. (1997) une multitude de conseils pratiques pour les enseignants permettant d'optimiser les situations d'apprentissage et de minimiser le temps perdu dans les périodes de transition. Nous tenterons, dans cette section, d'en donner quelques exemples.

Un des problèmes de l'enseignement traditionnel dispensé à une classe d'élèves, est la très grande variabilité dans le niveau de compréhension de ces élèves. En tenant compte de cette variabilité, un enseignant ne peut s'adresser à une classe entière de la même façon et dispenser son enseignement au même rythme pour tous. C'est pour cette raison que l'ED propose un regroupement des élèves par niveaux d'habileté. Typiquement, dans une classe d'ED, les élèves sont regroupés en trois ou quatre petits groupes d'enfants de même niveau de rendement scolaire (faible, moyen, fort). Ces groupes sont de tailles inégales. Le groupe composé d'enfants en difficulté devrait contenir pas plus de 4 à 7 élèves, tandis que le groupe d'enfants à rendement régulier, pourra être composé de 7 à 12 élèves. Quant à ceux dont le rendement est plus élevé, ils constitueront le plus grand groupe. Ce regroupement par niveaux d'habileté s'effectue par des tests de classement rapides (de cinq minutes). Il permet d'individualiser les enseignements dont la durée varie entre 15 et 30 minutes, et de consacrer plus de temps aux élèves éprouvant de grandes difficultés. Cette division en petits sous-groupes vise également à offrir à tous les enfants une expérience de succès et ainsi favoriser le sentiment de compétence et une meilleure estime de soi. Par ailleurs, selon Stein et al. (1997), ce sont souvent les mêmes erreurs de compréhension de la tâche qui se retrouvent chez les élèves en difficulté. Cette classification n'est pas rigide, puisque le rendement des élèves de chaque sous-groupe est constamment évalué et, selon les résultats obtenus, les regroupements varient (Engelmann, 1997). Le classement des élèves n'est pas non plus le même pour l'ensemble des matières, ce qui fait en sorte qu'un élève pourrait se retrouver dans un sous-groupe faible en lecture, et dans un sous-groupe plus fort en mathématique.

L'ED insiste également sur la nécessité de mesurer les apprentissages régulièrement. La technique d'évaluation s'inspire du modèle d'évaluation en fonction du curriculum (curriculum-based assesment) dans la mesure où le contenu des tests d'évaluation est directement tiré du matériel enseigné et qu'il est conçu pour s'assurer de la progression optimale des apprentissages des élèves. L'ED adopte d'ailleurs les principes de la pédagogie de la maîtrise, dans la mesure où la décision de passer à une leçon subséquente devra reposer sur la maîtrise, par l'ensemble des élèves d'un sous-groupe, du contenu des leçons précédentes. Si la progression des apprentissages est bien évaluée, chaque élève pourra cheminer à son rythme, à l'intérieur d'un sous-groupe (Stein et al., 1997). Si sa performance s'écarte de ce groupe, il sera immédiatement reclassé dans un groupe plus approprié. Pour l'ED, il est également important que tous les exercices effectués en classe soient corrigés le jour même afin d'offrir une rétroaction rapide.

L'emplacement des élèves dans la classe ou dans un sous-groupe n'est pas laissé au hasard. Les enfants en difficulté doivent toujours être assis à l'avant, au centre de la classe lorsque l'enseignement doit être dispensé à une classe entière. Cependant, pour les matières où les élèves en difficulté apprennent mieux en petits groupes, il est recommandé d'asseoir les élèves en demi-cercle, sans bureau, dans un coin de la classe ou face au mur. Les plus faibles du groupe sont alors placés au centre du demi-cercle d'élèves, afin de leur offrir une supervision plus soutenue. L'enseignant s'assoit alors devant ses élèves, à proximité, face au reste de la classe, afin de surveiller les autres élèves travaillant en petits groupes ou individuellement. En étant dos à la classe, les élèves recevant de l'instruction ne sont pas distraits par les activités des autres élèves. (Stein et al., 1997).

Durant les premières années (maternelle, première et deuxième année), l'enseignement en groupe prédomine sur le travail autonome. Toutefois, le travail individuel ou en petit groupe est amené à prendre une place de plus en plus importante. Dans ce type d'activité autonome, les élèves vont résoudre des problèmes écrits au tableau ou dans un cahier d'exercice, ou faire des activités en coopération (Engelmann, 1997). Une partie du temps alloué au travail indépendant doit porter sur la pratique des apprentissages récents mais doit également comporter des exercices de révision portant sur des apprentissages antérieurs. La durée d'une session de travail autonome devrait requérir entre 20 et 30 minutes (Stein et al., 1997). Le but de tout travail autonome est de favoriser l'atteinte d'une bonne maîtrise de son contenu. Il est donc important de bien choisir le niveau de difficulté de ces activités pour s'assurer que chaque élève soit en mesure de réaliser la tâche demandée de façon indépendante et sans erreur.

L'ED fait également usage de techniques comportementales de renforcement dans le cas d'élèves éprouvant des difficultés scolaires ou manifestant des troubles de comportement. La règle qui s'applique alors est de trouver un renforçateur personnalisé à l'enfant et d'établir avec lui une économie de jetons.   Cette technique est néanmoins temporaire et sera progressivement retirée et remplacée par des renforçateurs sociaux qui fonctionnent pour les autres enfants.

 

En guise de conclusion (et de provocation)


En dépit des nombreuses études et des succès retentissants qu'il a obtenu chez nos voisins américains, l'Enseignement Direct demeure encore aujourd'hui méconnu ou ignoré d'un grand nombre de théoriciens de l'éducation au Québec. Comme il se situe à contre-courant des théories pédagogiques à la mode, dont les approches cognitivistes et socio-constructivistes, il est facile de prédire quelle pourrait être la réaction de celles-ci, face à un éventuel regain d'intérêt pour l'ED. Les sessions de réponses à l'unisson, l'administration répétée de tests, le classement des élèves par niveaux d'habileté, l'enseignement fortement structuré, et également le choix d'une stratégie phonétique pour l'enseignement de la lecture, sont autant d'éléments qui feront dire aux critiques de l'ED qu'il s'agit d'une approche dépassée, à la limite “politiquement incorrecte”. Mais doit-on juger de la valeur d'une intervention par son caractère novateur, ou par le fait qu'elle conforte ou non notre vision romantique de ce qu'est l'enfance ou de ce que devrait être l'éducation ? Ce jugement ne devrait-il par plutôt reposer sur un critère d'efficacité, établi au moyen d'évaluations empiriques dans le milieu scolaire ? À cet égard, on ne peut que déplorer le manque d'empressement de nos “grands penseurs” de l'éducation au Québec, socio-constructivistes ou autres, à fournir des données empiriques quant à l'efficacité de leurs méthodes. Les plus radicaux d'entre eux vont même jusqu'à succomber à la tentation obscurantiste et remettent en question la valeur de toute vérification empirique selon une démarche scientifique. Ces théoriciens manifestent trop peu d'intérêt pour les données de recherche existantes, préférant s'appuyer sur des modes ou croyances populaires sans fondement. Il n'est donc pas surprenant de constater dans la dernière réforme de notre système d'éducation et dans les programmes en vigueur depuis de nombreuses années au Québec, des méthodes dont on sait depuis fort longtemps qu'elles sont inefficaces, voire même néfastes pour les enfants. Dans un article percutant sur les réformes en enseignement, Shanker (1995), constate :

Romanticism is frequently a characteristic of reformers. Pragmatism would better serve our students and our public schools. (p. 54)

C'est précisément cette position pragmatique qu'adopte Siegfried Engelmann, principal instigateur du mouvement d'ED, dans son livre War against the schools' academic child abuse (Engelmann, 1992). Engelmann ne prétend aucunement détenir le monopole sur l'efficacité éducative, mais défend plutôt l'importance d'appuyer les prises de décisions sur des données empiriques, plutôt que sur les habiletés rhétoriques des promoteurs de pédagogies “à la mode”. Pour ce faire, il propose aux décideurs du milieu de l'éducation l'adoption de cinq règles de conduites toutes simples :

Don't install any practice or reform unless you KNOW that they work well ;
Don't permit textbook publishers to market products that have not been tried out with a single kid before or after publication ;
Don't permit lobby groups with the loudest voices and the biggest budgets to promote practices that amount to nothing more than the OPINION of the group ;
Don't permit practices that are not working acceptably to remain in place for years without responding to the failures of teachers and children ;
Don't respond to failure of a
reform by blaming the children, their home, the changing demography, or some other irrelevant factor.

Il ne fait pour nous aucun doute que l'adoption et l'application de ces simples règles entraîneraient des changements drastiques de nos pratiques éducatives au Québec et des remaniements majeurs au sein de nos départements universitaires de formation des maîtres. Ce sont cependant nos enfants qui auraient le plus à gagner d'un tel bouleversement.

 


[1] . Le critère d'inclusion est que le modèle doit avoir été implanté dans au moins trois écoles de milieux différents et pour lesquelles il existe une école contrôle comparable située dans la même communauté.

[2] . On retrouve dans ces deux dernières catégories, les principaux modèles ayant influencé les pratiques pédagogiques au Québec soit les modèles constructivistes, cognitivistes et développementalistes, dont plusieurs d'inspiration piagétienne. Plusieurs de ces modèles insistent sur l'importance des apprentissages par la découverte, par la mise en situation ou par résolution de problèmes et adopte une perspective de pédagogie par projet. On y retrouve également le Tucson Early Education Model, qui a donné lieu au développement du courant américain du Whole Language, l'approche pédagogique de l'enseignement des langues la plus répandue actuellement aux États-Unis, modèle qui s'apparente également aux approches globales actuellement en vigueur aujourd'hui au Québec dans l'enseignement du français.

 
 
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