Principes de l'enseignement direct ou explicite Imprimer Envoyer
Pédagogie Explicite - Études
Écrit par Maryse Bianco   
Jeudi, 24 Novembre 2016 11:23

Maryse Bianco
Laboratoire des sciences de l'éducation (EA 602)
Université Grenoble-Alpes

Principes de l'enseignement direct ou explicite

Texte tiré de la contribution “Pratiques pédagogiques et performances des élèves : langage et apprentissage de la langue écrite”
CNESCO
10.2015

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L'efficacité de l'enseignement explicite et sa capacité à réduire les écarts entre les élèves font aujourd'hui assez largement consensus. Ce consensus s'est établi à l'issue des résultats de recherches ayant étudié les effets des méthodes ou procédures d'enseignement à partir de protocoles d'évaluation rigoureux. Ces travaux proviennent de deux traditions de recherche : la première, initiée aux États-Unis au cours des années 1960-70, a analysé les effets-classes et les effets-maîtres dans le cadre du paradigme processus-produits. La seconde, inspirée par la psychologie cognitive, s'est développée à partir des années 1980 dans le cadre de travaux portant sur l'enseignement de stratégies cognitives (Bianco et Bressoux,2009 ; Rosenshine,2009). Avant d'illustrer ces deux courants par quelques résultats empiriques, nous exposerons les principes au cœur de l'enseignement explicite.

Les principes de l'enseignement direct (ou explicite) ont été établis à partir de l'observation des pratiques et attitudes pédagogiques mises en œuvre par les enseignants efficaces, autrement dit, ceux qui font le plus progresser leurs élèves au cours d'une année scolaire. Ils sont synthétisés dans l'encadré ci-dessous, qui doit être lu en gardant à l'esprit que chacune des pratiques décrites peut être observée de manière plus ou moins intensive dans une séance pédagogique particulière. Le tableau regroupe donc les pratiques et attitudes pédagogiques que les enseignants efficaces utilisent le plus souvent pour structurer leur enseignement.

 

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L'enseignement direct (ou explicite) :
les recherches processus-produits

d'après Rosenshine & Stevens (1986) et Rosenshine (2009)

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Les six caractéristiques de l'enseignement direct :

1. Révision journalière : la leçon commence par une révision des notions apprises précédemment. Elle permet à l'enseignant de :
- s'assurer que les élèves maîtrisent les habiletés et notions (la connaissance) nécessaires à la leçon du jour
- de réexpliquer et de ré-entrainer les habiletés, celles notamment qui doivent être automatisées (ou sur-apprises).

2. Présentation du nouveau matériel : nouvelles notions, objectifs de la leçon
Les enseignants efficaces, passent plus de temps que leurs collègues moins efficaces à :
- présenter et expliquer les nouvelles notions
- donner de nombreux exemples
- poser des questions pour s'assurer de la bonne compréhension des élèves
- réexpliquer
Ils segmentent la présentation des notions nouvelles en étapes ; ils analysent les notions complexes afin de les décomposer en un ensemble de sous-notions que les élèves peuvent plus facilement appréhender sans être submergés par un ensemble de paramètres dépassant leurs capacités cognitives.

3. Pratique guidée : les enseignants les plus efficaces guident et supervisent la mise en œuvre initiale des nouvelles notions par les élèves. L'élément majeur de ce guidage consiste à susciter la discussion entre le maître et les élèves, et entre les élèves. L'enseignant pose de nombreuses questions ; il incite les élèves à auto-expliquer comment ils s'y prennent pour répondre aux questions. Plus ce temps de guidage est important, meilleures sont les réussites des élèves.

4. Feedback et corrections : les enseignants les plus efficaces corrigent immédiatement les erreurs faites par les élèves et fournissent un étayage en réexpliquant, en fournissant des indices pour parvenir à la réponse attendue et en simplifiant les questions lorsque c'est nécessaire. Ils utilisent aussi la pensée à haute voix (ou auto-explication) pour donner à voir les arguments qui conduisent à la réponse (« c'est cette réponse parce que »)

5. Travail individuel (ou pratique indépendante) : ce temps d'exercice fournit l'occasion à l'élève de s'entraîner à utiliser la notion apprise afin de l'intégrer à ces connaissances et de pouvoir l'utiliser de manière suffisamment fluide.

6. Révisions systématiques, hebdomadaires et mensuelles : ces révisions systématiques et à intervalles réguliers permettent de réactiver ce qui a été appris, de ré-entraîner afin d'augmenter l'intégration des connaissances et l'automatisation de celles qui doivent l'être.

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Dans un dispositif explicite d'enseignement, l'attitude pédagogique de l'enseignant se caractérise donc par un ensemble de traits saillants. Il endosse tout d'abord la responsabilité de réduire la complexité de la tâche dans l'approche initiale d'une notion. Pour cela, il affiche clairement l'objectif de la leçon et segmente l'activité en sous-tâches accessibles à l'élève. La maîtrise d'une activité complexe est donc une construction progressive où sont abordées tour à tour chacune les habiletés impliquées, avant d'exiger leur mise en œuvre intégrée dans l'activité elle-même.

L'enseignant guide ensuite l'élève dans sa pratique initiale en fournissant les étayages nécessaires. Il démontre les stratégies à utiliser pour réaliser tel ou tel exercice ; il donne à voir son expertise en “pensant à haute voix”. S'agissant du langage, il rend de cette manière perceptible à l'élève, des mécanismes autrement non perceptibles. Les mécanismes de la lecture et de la compréhension du langage sont en effet, pour la plupart, des mécanismes automatisés et hautement intégrés à l'activité du lecteur expert. Pour cette raison, ils ne sont pas directement accessibles à l'observation, ni même souvent à la conscience immédiate de l'expert. Cet aspect de l'activité cognitive experte n'est d'ailleurs pas spécifique au langage et à la lecture, l'expertise se caractérisant par un ensemble de mécanismes et de connaissances très fortement intégrés et mobilisables par des automatismes acquis par l'expert, quel que soit le domaine considéré.

L'enseignant s'assure aussi de la compréhension des élèves et suscite leur participation en cherchant à obtenir les réponses de chacun d'eux. Ce guidage consiste également à fournir des corrections et feedback systématiques et à motiver la participation active de l'élève en organisant des discussions permettant la confrontation des points de vue et la construction collective des stratégies optimales. L'enseignant conduit donc les élèves à prendre progressivement en charge l'activité. En d'autres termes, l'enseignant et les élèves collaborent à la conquête de l'autonomie de ces derniers.

Enfin, la maîtrise d'une habileté cognitive complexe implique une intégration des mécanismes, intégration qui ne va pas sans une pratique répétée, par des exercices systématiques, par des révisions régulières des notions apprises et, bien entendu, par leur sollicitation chaque fois que les activités scolaires l'exigent. Les dispositifs d'enseignement explicite fournissent donc, aussi, l'occasion de pratiques intensives des habiletés enseignées.

 

Contrairement à une idée répandue qui assimile l'enseignement explicite à une pédagogique mécaniste, ne suscitant pas (ou très peu) de réflexion de la part des élèves, l'enseignement explicite est une approche qui fait appel à l'attitude active et réflexive de l'élève tout en intégrant des principes de guidance par le maître ainsi que des principes d'entraînement nécessaires à l'acquisition de toute notion nouvelle par des novices. L'enseignement explicite est une pédagogie de l'interaction et de la réflexion qui nécessite l'engagement conjoint du maître et des élèves. Du côté de l'enseignant, cela suppose l'adoption d'un état d'esprit pour susciter la participation active de l'élève à la construction des habiletés et notions, tout en conservant son rôle de guide et de “chef d'orchestre”. Pour cela, l'enseignant doit analyser les notions complexes à enseigner pour proposer des activités adaptées au niveau des élèves ; c'est une condition pour que ceux-ci acquièrent progressivement les notions complexes dans un cadre sécurisant propice à leur engagement (Bianco,2010 ; Bianco et Bressoux,2009). La même argumentation est développée par Hattie (2009) à l'issue de la recension de plus de 800 méta-analyses interrogeant les paramètres efficaces de l'enseignement. Il insiste sur le fait que les principes de l'enseignement explicite (qu'il nomme enseignement actif) « ne doivent pas être confondus avec un enseignement de transmission ou (ce qu'on appelle) une stratégie traditionnelle d'enseignement frontal. […] Au contraire, un enseignement actif […] a pour objectif d'aider les élèves à développer des schémas cognitifs explicites pour aller vers une autorégulation de leurs apprentissages et une compréhension de la nécessité qu'ils ont, de s'engager dans une pratique délibérée » (Hattie,2009, p.245).

En synthèse de son analyse, Hattie (2009,2014) distingue deux types d'enseignants, se caractérisant par des options pédagogiques différentes : les enseignants “activateurs” et les enseignants “facilitateurs”. Le mode “activateur” est caractérisé par un ensemble d'attitudes d'enseignement plus efficaces par rapport aux attitudes privilégiées par le mode “facilitateur” comme l'indique le tableau 2. En moyenne, les tailles d'effet [1] sur les progrès des élèves s'élèvent à .61 pour le mode “activateur”, contre une taille d'effet de .19 pour le mode facilitateur. Toutes les caractéristiques du mode “activateur” renvoient aux propriétés de l'enseignement explicite et regroupent des attitudes destinées :
1. à rendre les contenus d'enseignement clairement “visibles” ou perceptibles aux élèves,
2. à guider les apprentissages,
3. à obtenir la participation active de l'élève,
4. à le renseigner sur ce qu'il a appris et sur ce qu'il lui reste à apprendre.
Le mode “facilitateur” au contraire, met en évidence des attitudes pédagogiques laissant aux élèves, le soin d'extraire les notions à apprendre des situations pédagogiques – souvent complexes – qui leur sont proposées et répond plus particulièrement aux conceptions constructivistes de l'enseignement actuellement dominante dans les milieux didactiques en France.

 

 

Enseignement/enseignant « activateur »

 

 

d

 

Enseignement/enseignant « facilitateur »

 

d

Enseigner à auto-expliquer .76 Enseignement inductif .33
Clarté de l’enseignant .75 Simulations et jeu .32
Enseignement réciproque .74 Démarche d’investigation .31
Feedback .74 Réduction de la taille des classes .21
Stratégies métacognitives .67 Instruction individualisée .22
Enseignement direct .59 Apprentissage « web-based » .18
Pédagogie de la maîtrise .57 Apprentissage par problème .15
Fournir des exemples de travail (worked examples) .57 Méthode de la découverte en maths .11
Fournir des objectifs .50 Approche «langage global» de l’enseignement de la lecture .06

Évaluations fréquentes des acquis des élèves (avec feed-back aux élèves et aux enseignants)

.46

 

Contrôle par l’élève de ses choix d’apprentissage « Student control over learning »

.04
Organisateurs comportementaux .41

 

Taille d’effet moyenne


 

.61

 

Taille d’effet moyenne

 

.19

 

Les recherches expérimentales ayant comparé l'efficacité de différentes méthodes pédagogiques concluent toutes qu'une approche explicite est plus favorable aux progrès des élèves, et d'autant plus que l'on s'adresse à des enfants jeunes et/ou en difficulté (Bissonnette et al.,2010 ; Slavin et al.,2009). La méga-analyse publiée par Bissonnette et al. (2010) est à ce titre emblématique. Les auteurs y synthétisent les résultats de 11 méta-analyses publiées entre 1963 et 2006 qui représentent 326 recherches impliquant en tout 30 000 élèves ; celles-ci portent sur des dispositifs d'enseignement de la lecture (7 méta-analyses), des mathématiques (3 méta-analyses) et de l'écriture (1). L'analyse est focalisée sur les effets des méthodes d'enseignement sur les performances des élèves faibles de l'école primaire. Comme le montre la figure 5, l'enseignement explicite favorisent bien plus fortement les progrès des élèves que les deux autres types de dispositifs étudiés dans les recherches, en lecture comme en mathématiques (la seule méta-analyse concernant l'enseignement de l'écriture va dans le même sens). La deuxième forme d'enseignement, l'enseignement réciproque, apporte des résultats également positifs. Initialement proposé pour enseigner à comprendre des textes à des jeunes adolescents en difficulté (Palincsar et Brown,1984), ce dispositif repose sur l'apprentissage de stratégies explicites et concrètes - apprendre à poser (à se poser) des questions, à résumer, à prédire et à clarifier des idées et des relations à partir d'une technique collaborative dans laquelle les élèves travaillent au sein de petits groupes de discussion, de manière autonome ou en compagnie du maître. Ils apprennent alors à s'interroger et à raisonner à propos d'un texte, à négocier les interprétations et à s'aider mutuellement dans l'utilisation des stratégies de compréhension. À tour de rôle, chaque élève et/ou l'enseignant ont la charge de conduire le groupe et le dialogue, ce qui permet au maître de “placer l'enseignement dans la zone proximale de développement” du groupe d'élèves (Rémond,2003) et d'apporter de la sorte, l'étayage juste nécessaire à l'acquisition des stratégies visées. L'enseignement réciproque a, depuis, été étendu à d'autres domaines et d'autres âges avec des résultats généralement positifs à partir de 9 ou 10 ans, cette approche se révélant, cependant, moins efficace pour les très jeunes enfants (Rosenshine et Meister,1994). L'enseignement de type constructiviste a, quant à lui, un effet négligeable sur les performances en mathématiques et négatif sur les progrès en lecture.

 

 

Prenant acte de l'efficacité incontestable de l'enseignement explicite dans le domaine des apprentissages fondamentaux (apprentissage de la lecture et des habiletés numériques élémentaires), certains défenseurs de l'enseignement constructiviste (Spiro et DeSchryver (2009), par exemple) soutiennent que l'enseignement explicite n'est adapté qu'aux domaines d'enseignement fortement structurés dont l'espace de problème est strictement défini mais qu'il ne peut pas être transposé aux domaines faiblement structurés, tel la compréhension des textes, l'activité rédactionnelle ou encore la résolution de problèmes mathématiques. Or, si la compréhension en lecture, par exemple, est incontestablement une activité cognitive complexe « ne se laissant pas décomposer en un algorithme de sous-tâches dont l'application conduirait infailliblement au résultat attendu, cette activité peut cependant être analysée en un ensemble complexe d'habiletés qui doivent être maîtrisées et peuvent être enseignées. Pour ce faire, ces habiletés doivent être précisément définies et traduites dans un ensemble de procédures qui consistent en des formes de raisonnement que les élèves peuvent apprendre à identifier et à mobiliser lorsqu'ils sont engagés dans la compréhension d'un texte complexe » (Bianco et Bressoux,2009). Cet enseignement prend la forme d'un enseignement de stratégies cognitives et métacognitives, encore appelées stratégies de lecture ou stratégies de compréhension. Bien qu'issu d'une tradition de recherche différente, l'enseignement de stratégies de compréhension est un cas particulier de l'enseignement direct (Bianco et Bressoux,2009 ; Rosenshine,2009). On dispose aujourd'hui d'un corpus très abondant de recherches empiriques qui ont montré la possibilité et l'efficacité de ce type d'enseignement, dès l'école maternelle. D'une manière générale, l'enseignement de stratégies de compréhension améliore les performances des élèves, à tous les niveaux de la scolarité, et est plus particulièrement adapté aux élèves les plus fragiles (Bianco,2003 ; Bianco et al.,2004 ; Connor et al.,2006 ; Edmonds et al.,2009 ; Lima et al.,2006 ; Solis et al.,2012 ; Snowling et Hulme,2010 ; Wanzek et al.,2013).

En définitive, l'ensemble des recherches cherchant à attester de l'efficacité des dispositifs pédagogiques convergent vers le même constat, quel que soit le domaine d'enseignement considéré : les dispositifs efficaces visent la prise de conscience progressive des mécanismes impliqués dans les apprentissages et leur intégration à l'activité cognitive des élèves. Ils cherchent à développer la connaissance explicite (ou métacognitive) des stratégies (ou des raisonnements) qui permettent à l'élève de savoir comment résoudre un problème et surmonter une difficulté. Ils favorisent le développement d'une attitude active afin que les élèves deviennent progressivement capables d'autorégulation.

 


[1] . La taille de l'effet exprime le gain (ou la perte) moyenne en proportion d'écart-type, des performances d'un individu appartenant à un groupe expérimental par rapport à un individu comparable appartenant à un groupe témoin. On considère actuellement qu'un effet d'ampleur de .40 est un minimum requis pour conclure à l'efficacité d'un traitement expérimental, un effet d'ampleur de .20 manifestant un effet faible et un effet de .80 représentant un effet fort.

 
 
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