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Pédagogie Explicite - Dossiers
Écrit par Form@PEx   
Mercredi, 18 Avril 2012 17:49

Dossier

L'orthographe

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Françoise APPY

18.04.2012

L'orthographe et l'Enseignement Explicite

 

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Au moment même où l’on découvre que des babouins parviennent à distinguer des mots de pseudo-mots, notre ministère lui, découvre… que le niveau des élèves baisse en orthographe. C’est un fait constaté sur le terrain depuis plusieurs décennies. Pourquoi ? La réponse entendue couramment aujourd’hui est : les élèves manquent de concentration. C’est exact mais ce n’est qu’une partie du problème, un élément aggravant bien entendu. Il y a d’autres raisons à cette baisse en orthographe.

Prenons le problème à l’envers. Et posons-nous la question suivante : pourquoi certains réussissent-ils en orthographe ? Ont-ils la bosse de l’orthographe ? Non, ce n’est pas une aptitude innée, mais elle s’acquiert de manière consciente et avec des efforts.

Ceux qui écrivent sans faute le font de manière automatique. Rarement, ils s’arrêtent pour réfléchir, se poser une question ou tenter d’appliquer une procédure spécifique. Cela signifie qu’ils ont acquis un automatisme, ils sont capables d’écrire correctement sans pratiquement y réfléchir.

 

L’intérêt des automatismes

 

Les automatismes, contrairement à une croyance fort répandue, ne sont pas des actions mécaniques dépourvues de sens qui feraient des élèves des robots formatés pour telle ou telle action et démunis de pensée. Au contraire, les automatismes sont un outil au service du raisonnement et de la pensée ; en effet, sur un plan cognitif, ils vont libérer la mémoire de travail (dont les capacités sont limitées en contenu et en temps) lui permettant ainsi de se consacrer au raisonnement. Donc à l’inverse de l’opinion dominante, l’acquisition d’automatismes sert la pensée et le raisonnement, permettant à l’élève d’atteindre un niveau de raisonnement plus élevé. C’est ainsi que, par exemple dans un exercice d’expression écrite, l’automatisme orthographique va permettre à la mémoire de travail de se consacrer au contenu et au style.

 

Comment acquérir des automatismes ?

 

  • En possédant les connaissances grammaticales liées à l’orthographe. Ex : connaître le C.O.D dans la phrase. Cela permettra de faire les accords correctement lorsque l’on a affaire à un verbe employé avec l’auxiliaire avoir. Cette connaissance conceptuelle permet de comprendre la règle orthographique et par conséquent de mieux l’appliquer.
  • En connaissant les règles orthographiques, ce qui passe par la mémorisation. Les élèves seront alors capables d’aller récupérer ces règles dans leur mémoire à long terme facilement. Cette connaissance factuelle nécessite bien entendu un processus de mémorisation volontaire et conscient. De plus, la connaissance grammaticale va leur permettre de comprendre ces règles, facilitant ainsi la mémorisation. Ex : L’accord du verbe avec son sujet.
  • En connaissant les procédures orthographiques qui vont permettre d’écrire sans faute. Ces connaissances procédurales sont mémorisées par une pratique abondante par le biais d’exercices divers et de révisions fréquentes. La pratique, pour porter ses fruits sur le long terme doit s’exercer au-delà du point de perfection, c’est-à-dire même quand la notion semble acquise.

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Et la dictée dans tout ça ?

 

À quoi sert la dictée ? Est-ce un moyen ou une fin ? Si l’on donnait une dictée par jour, nos élèves progresseraient-ils plus vite ?

Certains interprètent la baisse du niveau en orthographe comme la conséquence de la disparition des dictées dans l’enseignement primaire au profit des dictées préparées, des autodictées. La dictée est un exercice synthétique qui constitue une pratique en situation de l’orthographe. Faire des dictées régulièrement permet de mettre en place petit à petit les automatismes orthographiques. Les séances de correction consécutives aux dictées permettent aux élèves de faire des révisions sur les points importants, d’acquérir des routines, de parvenir au surapprentissage.

Néanmoins, accumuler des dictées sans les faire précéder d’un enseignement explicite serait un non-sens ; la dictée permet de se mesurer à l’orthographe en situation, elle est donc nécessaire mais à elle seule insuffisante. Les élèves qui échouent en dictée le font car ils ne maîtrisent pas les notions orthographiques, n’ont pas les procédures nécessaires et encore moins les réflexes. En Enseignement Explicite, les élèves qui ne réussissent pas dans la pratique sont ceux qui n’ont pas assimilé les explications. Par conséquent, la dictée à elle seule n’est pas un moyen pour améliorer l’orthographe ; dans les procédures explicites (Rappel des connaissances prérequises, Modelage, Pratique guidée, Pratique autonome, Révisions) elle se situe dans le volet Pratique et Révisions.

En mathématiques, la dictée équivaudrait aux problèmes. Si un élève échoue en résolution de problème, c’est parce qu’il n’a ni les connaissances ni les habiletés nécessaires pour le résoudre ; ce n’est pas en multipliant les problèmes qu’il s’améliorera.

Focaliser sur la dictée comme seule cause de l’échec en orthographe revient à donner à l’enseignement de l’orthographe une place négligeable, ou à reconnaître que c’est en mettant l’enfant d’emblée dans des situations complexes (que cognitivement, il n’a pas encore les moyens de résoudre) qu’il pourra s’améliorer. Or, cela est faux. L’enseignement de l’orthographe doit avoir une place première et comporter dans ses activités de pratique la dictée qui, de toutes, est la plus difficile.

D’autres éléments complémentaires peuvent aider à acquérir ces automatismes comme par exemple la fréquentation assidue des livres par l’élève, la concentration en classe, et bien entendu  le travail réalisé en amont sur le vocabulaire, la conjugaison, la grammaire.  Mais une chose est sûre, la maîtrise de la langue française écrite ne se fait pas de manière naturelle, elle passe par une méthode pédagogique rigoureuse et efficace, donnant aux élèves la compréhension, la pratique, afin que s’installent les automatismes orthographiques par exemple. C’est pourquoi l’Enseignement Explicite est particulièrement adapté. Compréhension, mémorisation et pratique prennent du temps. Ainsi, on ne peut pas se contenter de laisser apercevoir quelques éléments orthographiques à certains élèves, en s’imaginant qu’une fois plantée, la graine se développera toute seule. De la même manière que l’on ne peut se contenter de donner des dictées ou des exercices de Bled au kilomètre. La maîtrise orthographique nécessite du temps, des explications claires, de la pratique et des révisions très fréquentes, même quand celles-ci ne semblent plus nécessaires. C’est à ce prix que les élèves pourront progresser. Tous en sont capables.

 

 


 

 

Françoise APPY

17.04.2012

Enseignement Explicite de l’orthographe : Don’t panic !

 

Don't panic !

 

Il en va de l’orthographe comme des autres disciplines. Une méthode d’enseignement efficace est indispensable. On ne peut que se réjouir de la récente circulaire ministérielle, mentionnant l’enseignement explicite comme méthode utile à l’enseignement de l’orthographe... même si pour autant elle n’écarte pas une approche plus implicite.

Levée de boucliers chez les constructivistes qui ne voient dans ce texte que l’apprentissage (forcément bête et discipliné) des règles d’orthographe. Cela suffit pour une disqualification. Mais, à leur décharge, peut-être ne connaissent-ils pas vraiment l’enseignement explicite, qu’ils ont tendance à assimiler aux cours magistraux de l’enseignement traditionnel, à l’application rigoureuse de règles dont on ne comprend ni le sens ni le pourquoi.

Non, l’Enseignement Explicite n’est rien de tout cela. Il s’agit d’enseigner de manière efficace – s’appuyant sur des données probantes – des connaissances scolaires, qui sont de trois types : factuelles, procédurales et conceptuelles. L’intégration de ces connaissances conduit aux compétences demandées par les programmes.

En Enseignement Explicite, on sait – car la recherche l’a montré – qu’un moyen efficace pour effectuer cette transmission est de le faire directement, sans passer par une pratique de découverte, de manière progressive (en partant du simple pour aller vers le complexe), en s’assurant au préalable que les connaissances prérequises sont bien installées.

Ensuite on considère que les trois types de connaissances (factuelles, procédurales, conceptuelles) sont d’égale importance et il n’y a pas entre elles de hiérarchie. Elles seront donc enseignées de manière égale.

Pour revenir à l’actualité, penchons-nous sur l’orthographe dont on ne dira jamais assez son lien intime avec la grammaire. En effet, les connaissances conceptuelles en orthographe reposent sur des connaissances grammaticales ; si elles sont absentes, la compréhension ne sera pas au rendez-vous. Exemple : les homophones son et sont. La connaissance procédurale consiste à connaître l’artifice qui va vous permettre de savoir quoi écrire ; en général, on dit aux élèves « si vous pouvez remplacer pas étaient, alors vous écrivez sont ». Cette connaissance peut aider les débutants, s’ils sont capables de se poser tout seuls la question chaque fois qu’ils ont à écrire ce mot. Mais la connaissance conceptuelle est elle aussi nécessaire ; c’est grâce à elle que nous savons que le mot sont est une expression du verbe être. C’est une connaissance grammaticale. Et lorsque nous, adultes, écrivons, nous sommes capables de savoir automatiquement si le mot est une expression du verbe être ou bien un déterminant possessif. Nous n’avons plus besoin d’appliquer la règle.

Tout cela pour montrer la nécessité de posséder ces trois types de connaissance et de souligner aussi l’importance de l’automatisation. L’enseignement de l’orthographe doit avoir pour but d’automatiser les réflexes, d’être capables d’écrire sans faute, en évitant pour chaque mot le recours à des raisonnements complexes et coûteux en charge cognitive. Lorsque nous écrivons sous la dictée, nous utilisons notre mémoire de travail ; or celle-ci a des capacités extrêmement limitées en contenu et en temps ; pour éviter la surcharge cognitive, il faut avoir recours aux automatismes.

Comment s’acquièrent ces automatismes ? Par un enseignement explicite et progressif des règles orthographiques contenant :

  • des faits à retenir (connaissances factuelles), c’est-à-dire à installer en mémoire à long terme, comme par exemple des listes de mots, des exceptions…
  • des procédures à savoir utiliser (connaissances procédurales), comme par exemple celles relatives aux homophones grammaticaux,
  • des concepts à intégrer (connaissances conceptuelles), comme par exemple la notion de sujet du verbe pour l’accord orthographique de celui-ci.

Cet enseignement complet doit être suivi d’une abondante pratique sans laquelle aucun automatisme ne sera acquis. Cela signifie beaucoup d’entraînement sous des formes variées. Il ne s’agit pas uniquement d’exercices de Bled, comme certains le caricaturent. L’entraînement revêt des formes très variées. Dans tous les cas, il sera accompagné d’une correction et rétroaction immédiates.

On ne dira jamais assez l’importance des automatismes en orthographe ; ils libèrent la mémoire de travail et permettent ainsi de la consacrer au contenu de ce que l’on écrit, aux idées et au style.

Les méthodes constructivistes négligent les connaissances factuelles et procédurales et disent privilégier les connaissances conceptuelles. On remarque aussi qu’elles négligent l’acquisition des automatismes supposés s’opposer à la compréhension ou former des élèves perroquets. Dans la même idée, elles négligent la pratique. C’est une grave erreur sur le plan cognitif car nous savons à l’heure actuelle (et il y a un consensus sur la question en psychologie cognitive) que l’architecture cognitive est telle que les automatismes évitent la surcharge et permettent à l’élève d’atteindre un niveau plus élevé de raisonnement. Comme nous savons que la pratique permet l’acquisition de ces automatismes et constitue un passage obligé dans le chemin vers l’expertise.

On est en droit de se demander si le discours critique qui a lieu aujourd’hui, fait preuve de mauvaise foi ou s’il est le fruit d’une désinformation. L’Enseignement Explicite revendique la pratique, et l’automatisation de certains éléments dans le but de libérer la mémoire de travail pour mieux raisonner ; il enseigne aussi les connaissances conceptuelles car il sait qu’une chose non comprise n’est pas retenue efficacement. Il n’en est pas ainsi de l’enseignement traditionnel qui focalise sur les connaissances factuelles et procédurales exclusivement, qui ignore allègrement les contraintes imposées par l’architecture cognitive, et à qui pourraient bien s’adresser les reproches.