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Pédagogie Explicite - Dossiers
Écrit par Form@PEx   
Samedi, 27 Août 2011 15:31

Dossier

L'effet-enseignant

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Françoise APPY

27.08.2011

L’effet-enseignant : ce qu’il est, ce qu’il n’est pas

 

Enseignant

 

L’expression effet-enseignant (ou effet-maître) est très fréquemment mal comprise. La plupart des personnes, même celles qui s’intéressent aux questions éducatives, font un contre-sens. Ainsi, j’ai lu récemment dans un article consacré à l’école [1] qu’il s’agissait de la « relation de confiance que l’enseignant établit avec ses élèves, sa passion, son investissement ». Autrement dit, une indéfinissable alchimie liée à l’individualité de l’enseignant, un élément personnel, non descriptible avec précision et par conséquent non reproductible. Non, l’effet enseignant va bien au-delà de la relation de confiance entre l’enseignant et les élèves. La passion et l’investissement de l’enseignant, aussi louables et utiles soient ces vertus, ne sont pas les éléments de l’effet-enseignant tel qu’il a été décrit par les très nombreuses études. Elles ne garantissent pas l’efficacité. Nous savons bien que certains enseignants passionnés et impliqués dans leur travail ne parviennent pas, malgré ce, à obtenir les résultats escomptés en termes d’acquisitions scolaires.

Autrefois, on pensait que l’école et le personnel enseignant avaient peu d’influence sur les élèves issus de milieux défavorisés. C’est le rapport Coleman (1966) qui a révélé que la variable enseignant avait un effet certain sur les résultats scolaires en particulier chez les élèves en difficultés. A partir de là, de nombreux chercheurs ont étudié la question.

L’étude de Wang Haertel et Walberg (1993) [2] a montré que parmi les facteurs contribuant aux apprentissages, c’est l’enseignant qui a le plus d’influence et cela par le biais de la gestion de classe et des processus métacognitifs.

Cette influence de l’enseignant avait déjà été démontrée par Rosenshine (1971) et Bloom (1979). Rosenshine a pu donner une exacte description des actions pédagogiques de l’enseignant efficace ; elles seront la base de l’enseignement explicite (Rosenshine, Brophy & Good, 1986 ; Rosenshine & Stevens, 1986). Ces études expérimentales ont été résumées par Gage et Needles en 1989. On a d’ailleurs l’habitude d’appeler cette période (entre 1955 et 1980) “l’ère de l’effet-enseignant” : elle fut une course aux recherches cumulatives. L’effet-enseignant est aussi appelé valeur ajoutée de l’enseignant, elle affecte indéniablement tous les élèves et en particulier ceux qui sont le plus en difficultés. Cette valeur ajoutée a pu être mesurée par Sanders en 1996.

Toutes les conclusions de ces travaux d’envergure confirment donc que l’enseignant affecte directement l’apprentissage des élèves par la gestion de classe et par son enseignement. La recherche est muette sur la passion, sur l’investissement personnel.  L’effet-enseignant est donc produit par un enseignant qui a une gestion de classe et une pratique pédagogique efficaces. On peut aujourd’hui se faire une idée précise des actions et interactions qui définissent cet effet. Les chercheurs en ont donné des descriptions précises. Pour les consulter, on pourra se reporter aux pages de notre site traitant de gestion de classe et de pratiques d’enseignement efficaces.

Cette connaissance des formes que peut prendre l’effet-enseignant soulève bien entendu la question de la formation. Une passionnante thèse de doctorat sur le sujet vient de paraître. Il s’agit du travail de Mireille Castonguay, intitulé Efficacité, Enseignement et Formation à l’enseignement. Elle propose d’intégrer les résultats des recherches sur l’effet-enseignant dans la formation des jeunes. Voici une partie du résumé :

« Depuis trente ans, de nombreux travaux indiquent que ce que fait l’enseignant influence fortement les apprentissages des élèves. Or, si l’enseignant représente un élément fondamental pour favoriser la réussite scolaire, alors il importe de le préparer du mieux possible à exercer sa profession. Mais comment offrir la meilleure formation possible aux personnes se destinant à l’enseignement ? Quels seraient les éléments à prendre en compte dans l’élaboration d’un programme de formation à l’enseignement efficace ? »

« Nos résultats indiquent que les stratégies pédagogiques efficaces identifiées par les études menées dans le domaine de l’efficacité de l’enseignement ne sont pas proposées au sein des programmes de formation à l’enseignement. L’enseignement de type structuré et explicite, qui aide davantage les élèves à apprendre, est dévalué au sein des programmes de formation à l’enseignement au profit de stratégies de type constructiviste, moins efficaces pour favoriser les apprentissages scolaires, mais perçues comme favorables par les formateurs de maîtres. Nous concluons que les éléments à prendre en compte dans l’élaboration d’un programme de formation à l’enseignement efficace devraient correspondre aux stratégies identifiées par les recherches empiriques comme favorisant les apprentissages des élèves, à savoir des approches de type structuré et explicite. »

Il ne reste plus qu’à espérer que cet ouvrage sera lu, en particulier par tous ceux qui se disent spécialistes de l’éducation.

C’est par des abus de langage comme celui évoqué plus haut et par des raccourcis exagérés que s’installent trop souvent dans l’opinion des croyances erronées.

 


[1] Fanny Capel, “La bataille du primaire”, in Télérama (n° 3215, semaine du 27.08 au 02.09)

[2] Ils s’interrogeaient sur les facteurs favorisant les apprentissages. Ils en ont déterminé 28. Les deux premiers dans la liste relève des enseignants. La famille n’apparaît qu’en quatrième place.

 

 

 


 

 

Source : acpi

Steve Bissonnette

Effet enseignant et enseignement efficace

 

Livre

 

Ce texte est un extrait de l’ouvrage: Gauthier, C., Bissonnette, S., et Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves. Gestion des apprentissages. Montréal, Canada : ERPI.


Introduction

 

Il y a de cela une quarantaine d’années, on considérait encore que l’enseignant représentait une variable négligeable dans la réussite scolaire des élèves. On attribuait à des facteurs périphériques à l’école, tel le milieu socio-économique, un rôle primordial. Or, à la suite de nombreuses études réalisées depuis, on a maintenant pu mettre en évidence ce qui est désormais appelé l’effet-enseignant.

En effet, des recherches empiriques utilisant la technique de la méta-analyse ainsi que d’autres études mesurant la « valeur ajoutée » de l’enseignant, ont réussi à comparer et à mesurer de manière fine l’impact de différents facteurs sur la performance scolaire des élèves. Ces recherches ont montré que le milieu scolaire, et plus particulièrement l’enseignant, jouait un rôle important pour favoriser l’apprentissage des élèves, et ce, au-delà des dimensions familiales ou motivationnelles.

 

Effet enseignant

 

Dans une publication récente, intitulée Visible Learning for Teacher Maximizing Impact on Learning, Hattie (2012) présente une synthèse de plus de 900 méta-analyses ayant étudié l’impact de différents facteurs sur le rendement des élèves. À notre connaissance, cette étude représente la recherche la plus imposante publiée en éducation ayant analysé rigoureusement l’effet de différents facteurs sur le rendement des élèves. En effet, cette méga-analyse, qui a nécessité une quinzaine d’années de travail, représente une synthèse de plus de 60 000 recherches impliquant au-delà de 240 millions d’élèves.

Hattie a identifié et classé, selon les effets mesurés, une centaine de facteurs ayant un impact sur le rendement des élèves. Ces différents facteurs ont été regroupés en six grandes catégories : 1- les facteurs reliés à l’élève, 2- les facteurs liés au milieu familial, 3- les facteurs associés à l’école, 4- les facteurs reliés à l’enseignant, 5- les facteurs liés au curriculum, 6- les facteurs associés aux méthodes d’enseignement. Ces différentes catégories de facteurs ont été classées en fonction de leurs effets sur le rendement des élèves. Le tableau 1 montre les résultats de ces facteurs, les ampleurs d’effet mesurées pour chacune des catégories et le nombre de méta-analyses qui y correspond. Or, le facteur enseignant arrive bon premier avec un effet de 0.47!

 

Tableau 1. Influence de différentes catégories de facteurs sur le rendement scolaire des élèves (Hattie, 2012)

 

Il importe également de mentionner que des études récentes ayant mesuré la valeur ajoutée des enseignants ont montré que ceux utilisant l’enseignement explicite sont ceux dont la valeur ajoutée est la plus élevée (Grossman et al., 2010, 2011). Les enseignants ayant recours à l’enseignement explicite sont ceux qui produisent les gains d’apprentissage les plus élevés auprès des élèves qui leur sont confiés.

 

Efficacité de l’enseignement explicite

 

Pour montrer l’efficacité de l’enseignement explicite, nous présentons une synthèse des résultats provenant d'une méga-analyse que nous avons réalisée récemment (Bissonnette, Gauthier, Richard et Bouchard, 2010) [1]. Cette méga-analyse trouve réponse à la question suivante : quelles sont les méthodes d’enseignement favorisant les apprentissages fondamentaux (lire, écrire, compter) auprès des élèves en difficulté qui sont fondées sur des données probantes ?

Rappelons que les résultats provenant de plusieurs méta-analyses regroupés au sein d’une méga-analyse permettent aux chercheurs d’identifier les grandes tendances qui se dégagent d’un ensemble de recherches. Sur la base de ces tendances, il devient alors possible de poser un regard sur l’efficacité de différentes interventions et de choisir celles qui sont les plus susceptibles d’améliorer le rendement des élèves. Après avoir sélectionné les méta-analyses les plus pertinentes pour notre propos, nous avons ensuite regroupé et comparé les résultats produits par ces différentes études à l’intérieur d’une méga-analyse.

De fait, nous avons répertorié 11 méta-analyses (lecture = 7 ; écriture = 1 ; mathématiques = 3) publiées au cours des treize dernières années, soit entre 1999 et 2007, nous permettant de répondre à la question posée plus haut. Au total, ces 11 méta-analyses ont examiné 362 recherches publiées entre 1963 et 2006 impliquant au-delà de 30 000 élèves. Les résultats présentés dans ces méta-analyses sont exprimés sous une forme standardisée qu’on appelle « ampleur de l’effet » (ou « effet d’ampleur ou taille d’effet ») et qui correspondent à la différence entre la moyenne du groupe expérimental et celle du groupe contrôle, divisée par l’écart type du groupe contrôle. L'analyse des résultats effectuée prend comme point d'appui une ampleur d'effet cible de 0,40. Nous soulignons que ce résultat représente actuellement l'effet moyen, ou seuil standard, calculé dans plusieurs méga-analyses ayant examiné l'influence de différentes variables ou facteurs sur le rendement des élèves (Forness, 2001 ; Hattie et Timperley, 2007). Par exemple, une ampleur d'effet de 0,40 indique que l'intervention augmente le rendement d'un élève moyen du groupe expérimental (50e centile) au 66e centile (Best Evidence Encyclopedia, 2007).

Nous avons regroupé les résultats obtenus à propos des différentes méthodes d’enseignement que nous avons répertoriées dans les études consultées selon les modalités pédagogiques dominantes qu’elles proposent: 1- enseignement structuré et directif; 2- tutorat par les pairs; et 3- pédagogie constructiviste. L’enseignement structuré et directif représente la première modalité pédagogique dominante que nous avons identifiée. Ce type d’enseignement, généralement désigné sous l’appellation d’« enseignement explicite », fait référence à une démarche d’apprentissage dirigée par l’enseignant qui procède du simple vers le complexe et se déroule généralement en trois étapes : le modelage, la pratique dirigée et la pratique autonome (Rosenshine et Stevens, 1986). La deuxième modalité dominante, le tutorat par les pairs, propose le recours au travail en équipe. Cette forme d’enseignement se déroule exclusivement en dyade et emploie une démarche structurée dont les modalités sont enseignées explicitement aux élèves (Elbaum et al., 1999). Ensuite, la pédagogie constructiviste s’impose en tant que troisième modalité pédagogique dominante. Elle fait appel à une démarche d’apprentissage centrée sur l’élève en fonction de son rythme et de ses préférences (Chall, 2000). Ce type de pédagogie préconise le recours à des activités authentiques, complètes et complexes à l’intérieur desquelles l’enseignant joue un rôle de facilitateur et de guide, en procédant surtout par questionnement auprès des élèves (Jeynes et Littell, 2000).

L’analyse des résultats nous permet de constater que l’enseignement structuré et directif ou explicite est la modalité pédagogique qui produit les gains d’apprentissage les plus élevés en lecture, en écriture et en mathématiques auprès des élèves en difficulté avec des effets variant de 0,41 à 1,45, ce qui situe ces résultats au-dessus de l’ampleur d’effet cible de 0,40. En poursuivant notre analyse, nous avons également constaté que le tutorat par les pairs se situait au deuxième rang des modalités pédagogiques les plus efficaces avec une ampleur d’effet variant de 0,40 à 0,66. Il importe de mentionner qu’il est possible d’incorporer assez facilement cette forme de travail en dyade à l’intérieur d’une démarche d’enseignement explicite lors de la pratique guidée. Ainsi, il devient possible de combiner ces deux stratégies efficaces pour l’enseignement des matières de base.

Les résultats obtenus par la troisième modalité pédagogique, la pédagogie constructiviste, montrent des effets d’ampleur variant de -0,65 à 0,34 et situent cette stratégie d’enseignement nettement en deçà du seuil d’efficacité visé pour notre étude. Dans cette perspective, il s’avère donc inapproprié de recourir à cette stratégie pour favoriser les apprentissages fondamentaux chez les élèves en difficulté, surtout lorsqu’on dispose de méthodes pédagogiques comme l’enseignement explicite ou le tutorat par les pairs dont les résultats apparaissent nettement supérieurs.

 

Conclusion

 

Les résultats provenant des études présentées montrent l’effet déterminant de l’enseignant sur l’apprentissage des élèves, et ce, plus particulièrement auprès de ceux qui éprouvent des difficultés. De plus, cet effet enseignant sur le rendement scolaire des élèves est supérieur à ceux obtenus par l’école et la famille.

Dans un contexte de réforme éducative comme celui qui prévaut dans nombre de pays, contexte pour lequel l’objectif est la réussite du plus grand nombre d’élèves, nous pensons, à l’instar de Crahay (2000), qu’une modification des pratiques d’enseignement est une condition sine qua non pour l’atteinte d’un tel objectif. Cependant, afin de permettre au plus grand nombre de réussir, encore faudrait-il que cette modification des pratiques d’enseignement favorise la mise en œuvre de stratégies dont l’efficacité sur le rendement des élèves a été démontrée comme c’est le cas avec l’enseignement explicite !

 


[1] Bissonnette, S., Richard, M., Gauthier, C. et Bouchard, C. (2010). “Quelles sont les stratégies d’enseignement efficaces favorisant les apprentissages fondamentaux auprès des élèves en difficulté de niveau élémentaire ? Résultats d’une méga-analyse”. Revue de recherche appliquée sur l’apprentissage, 3, article 1, p. 1-35.

 

 

 


 

 

 

 

Maryse Bianco et Pascal Bressoux

Effet-classe et effet-maître dans l'enseignement primaire : vers un enseignement efficace de la compréhension ?

In X. Dumay & V. Dupriez (Eds.), L'efficacité dans l'enseignement, promesses et zones d'ombre (pp. 35-54). Bruxelles : De Boeck, 02.2009, 292 p

 

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Commentaire de Lucie Aussel :

« M. Bianco et P. Bressoux à travers l’étude de l’effet classe et de l’effet-maître dans l’enseignement primaire, montrent que les comportements des enseignants influencent les acquisitions des élèves. Ils précisent que l’effet-classe est plus important (10 à 20 %) que l’effet-école (4 à 5 %). De plus, ils spécifient que l’enseignant n’est pas “omnipotent” dans sa classe : l’effet-maître ne correspond pas seul à l’effet-classe d’autres critères bien que faibles le composent (caractéristiques morphologiques, public accueilli : nombre d’élèves, classe à cours multiples, etc.). Enfin, les auteurs présentent une dimension de l’enseignement plus favorable au développement des performances des élèves : l’enseignement direct. »

 


 


 

 

 

Pascal Bressoux

Les recherches sur les effets-écoles et les effets-maîtres

Revue Française de Pédagogie, 108, 91-137, 1994

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La recherche sur les effets des écoles et des maîtres a connu un essor important dans les pays anglo-saxons, aux États-Unis tout d'abord, à partir des années 60, en Grande-Bretagne ensuite à la fin des années 70, pour connaître plus récemment des développements dans d'autres pays tels que les Pays-Bas, le Canada, l'Australie... (MORTIMORE, 1991). Ce type de recherche s'attache, de manière résolument empirique, à l'étude des variations des acquisitions des élèves en fonction de l'école ou de la classe où ils sont scolarisés et à la recherche des facteurs qui sont susceptibles d'expliquer ces variations.

Il est postulé que tout ne se réduit pas à une situation unique entre un maître particulier et des élèves particuliers, et qu'il doit être possible de déceler des facteurs qui, dans certains contextes, sont généralement associés à de meilleures acquisitions des élèves. Il ne s'agit pourtant pas de rechercher des lois immuables sur l'enseignement mais plutôt de rechercher des relations dont la stabilité et la généralisabilité sont elles-mêmes objets d'investigation. L'idée sous-jacente est que, si l'on peut déceler des maîtres plus efficaces que d'autres, ou bien des écoles plus efficaces que d'autres, ainsi que les facteurs qui y sont associés, alors l'école n'est pas que le simple révélateur des inégalités sociales de réussite scolaire, mais elle a un poids spécifique, et il est dès lors possible d'améliorer les acquisitions d'un grand nombre d'élèves, en particulier ceux issus des classes sociales défavorisées.

Cette note de synthèse n'a pas pour ambition de fournir une liste exhaustive de l'ensemble des travaux réalisés dans le domaine de la recherche sur les effets des écoles et des classes mais plutôt d'en montrer les résultats marquants et également les limites.

Nous verrons dans un premier temps les recherches qui ont porté sur les effets-maîtres, puis dans un deuxième temps les recherches qui ont porté sur les effets-écoles. Il peut sembler arbitraire de séparer les effets-écoles et les effets-maîtres, puisque les deux sont intimement liés : les maîtres enseignent dans des écoles et celles-ci reflètent au moins pour partie ce qui se passe dans les classes. Il s'agit cependant de deux courants de recherche distincts, qui se sont développés de façon relativement autonome. La dernière partie sera consacrée à l'étude des limites de ces travaux, notamment en termes de stabilité et de généralisabilité des résultats et aux liens entre effets-écoles et effets-maîtres.

La majeure partie des références seront anglo-saxonnes, mais nous pointerons également les quelques travaux français réalisés dans ce domaine. Ce courant de recherche est encore très peu développé en France. Il y a sans doute deux raisons principales à ce fait :

Tout d'abord, la recherche en éducation en France a été profondément marquée par les travaux sociologiques (BOURDIEU et PASSERON, 1964, 1970 ; BAUDELOT et ESTABLET, 1971, 1975 ; BOUDON, 1973) qui, avec des approches théoriques différentes, ont attribué à l'origine sociale un rôle prépondérant dans la réussite scolaire et ont pu donner à penser que l'École ne fait qu'entériner des différences qui lui préexistent et qui se creusent parallèlement à elle et malgré elle. La réussite scolaire se jouant ailleurs qu'à l'École, l'étude des phénomènes scolaires perdait de fait de son intérêt [1].

Ensuite, en ce qui concerne plus particulièrement la recherche sur les effets-écoles, l'école s'impose de façon beaucoup plus évidente comme une unité d'analyse pertinente dans les pays anglo-saxons qu'en France. Dans les premiers, les écoles construisent au moins pour partie leur programme d'enseignement, peuvent ainsi définir leurs propres objectifs et peuvent elles-mêmes, sous l'autorité du directeur, recruter leurs enseignants, ou s'en séparer. Tel n'est pas le cas en France, où les programmes sont nationaux, où la décision d'affectation des enseignants n'appartient pas à l'école, ce qui peut donner à penser a priori que les différences de fonctionnement d'une école à l'autre sont faibles, et que l'école n'est pas un niveau d'analyse pertinent.

 

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Source : Atlantico

L'impact des bons enseignants sur les revenus futurs de leurs élèves

1,4 million de dollars, c'est la différence de revenus par classe qu'engendrerait la différence entre un bon et un mauvais professeur, selon des économistes américains. Multipliez cela par le nombre de classes que chaque enseignant dirige au cours d'une carrière et vous avez un impact économique de premier ordre directement lié à la qualité de l'enseignement.

 

Entretien avec Corinne Prost et Marc Gurgand

Corinne Prost est économiste, ses domaines de recherche sont l'économie de l'éducation et le marché du travail. Elle a mené des évaluations de la politique d'éducation prioritaire ainsi que des analyses de la mobilité des enseignants en France.
Marc Gurgand est membre associé de la Paris School of Economics et directeur de recherche au CNRS spécialiste de l'économie de l'éducation.

 

Une étude américaine (voir au bas de la page) a permis d’évaluer à environ 1,4 millions de dollars par classe, l’impact financier de l'enseignement d'un “bon professeur” par rapport à un autre moins bon sur les revenus futurs des élèves qui la composent. A-t-on conscience de ce phénomène en France ?

Corinne Prost : Cette étude propose une analyse très fouillée, à partir de données très riches portant sur des élèves et des enseignants. Les auteurs peuvent notamment suivre les élèves jusqu'au début de l'âge adulte, et, grâce à des données fiscales, connaître les revenus de ces jeunes lorsqu'ils sont sur le marché du travail. Cela permet d'évaluer l'impact de la “qualité” de l'enseignant directement en termes salariaux. Ils évaluent alors à 1,4 million de dollars par classe le fait d'avoir un enseignant “moyen” plutôt qu'un des enseignants parmi les 5 % moins bons. Néanmoins, ce 1,4 million est un gain cumulé sur l'ensemble d'une vie active, ce chiffre n'a pas beaucoup de sens en soi. Il reflète une hausse de salaire pour chaque élève de 1,6 %, ce qui, vous en conviendrez, est déjà moins impressionnant. Ce que disent les auteurs, c'est que ce salaire plus élevé de 1,6 %, reçu sur l'ensemble d'une carrière, représente une somme importante.

Marc Gurgand : En France, il y a beaucoup de littérature sur “l'effet prof”. Il est acquis (parmi les chercheurs) que c'est un déterminant important et qu'il y a beaucoup de disparités (on estime que la qualité des profs explique 20 % des disparités de résultats entre élèves). Mais ça n'a jamais été quantifié en euros ou en dollars, même à l'étranger, à ma connaissance, c'est la première fois.

Comment expliquer économiquement ce montant extrêmement élevé lorsqu’il est multiplié par le nombre de classe d’un bon professeur sur l’ensemble de sa carrière ?

Corinne Prost : Un des mécanismes mis en évidence par l'étude repose simplement sur les résultats scolaires : les élèves qui bénéficient d'un bon enseignement obtiennent des meilleures notes à la fin de l'année. C'est un avantage qu'ils conservent et qu'ils peuvent ensuite valoriser par de meilleurs diplômes. Notamment, l'étude montre que ces élèves vont plus souvent entrer à l'université et obtenir un diplôme du supérieur. En outre, on peut penser que ces élèves acquièrent une plus grande confiance en eux, ce qui se traduit également dans les comportements sociaux. Les économistes ont montré que les salaires dépendent pour partie des diplômes mais aussi pour une grande partie des compétences dites non-cognitives, c'est-à-dire des facultés relationnelles.

Marc Gurgand : Imaginez qu'un américain moyen gagne 68 000 dollars par an (à peu près le PIB par tête). Si on veut avoir une idée de ce que rapporte l'éducation, on peut mesurer ce que rapporte (en moyenne) d'avoir une année d'étude supplémentaire : il y a une énorme littérature économique là-dessus, mais il y a un consensus sur le fait que ça représente une augmentation salariale de 6 à 10 % selon les gens, les niveaux, etc. ; donc entre 4 000 et 6 800 dollars par an. En imaginant que vous travaillez 40 ans et en faisant abstraction des pensions de retraite pour simplifier (et de l'actualisation), vous voyez que le gain d'une année d'éducation pour une personne est typiquement de 160 000 à 272 000. Si vous avez une classe de 30 élèves que vous poussez à étudier une année de plus, tout compris, cela représente un accroissement des salaires perçus par ce groupe de 4 800 000 à 8 160 000 dollars.

Maintenant, on parle dans cet article d'autre chose, mais qui a des conséquences sur ce que les gens apprennent (et qu'ils peuvent valoriser sur le marché du travail), et indirectement sur les études qu'ils poursuivent (parce qu'ils sont mieux préparés). Le 1,4 million que les auteurs calculent correspond à quelque chose d'un peu abstrait : l'effet de passer d'un des professeurs les plus médiocres de la distribution à un professeur moyen. On ne sait pas bien ce que ça veut dire, mais on peut imaginer que les professeurs dans le bas de la distribution dans leurs données (qui proviennent d'une ville américaine qui n'est pas connue) forment leurs élèves particulièrement mal. En tous cas, vous voyez que ce 1,4 million représente entre 30 % et 17 % du gain d'une année d'étude supplémentaire. Ça veut dire, par exemple, qu'éviter un très mauvais enseignant peut permettre à un élève sur 5 de poursuivre ses études une année de plus (ou à un élève sur 10 de poursuivre ses études 2 ans de plus, etc.).

Il ne fait aucun doute que ce sont des effets très importants. Mais si vous les rapportez au gain salarial d'une année d'étude pour une classe entière, on voit aussi que l'ordre de grandeur n'est pas aberrant. Et il faut savoir aussi que ces chiffres sont toujours des estimations statistiques, qui ont une certaine imprécision : la vraie valeur peut être plus faible, on n'a ici qu'une estimation.

Quels enseignements doit-on en tirer ? Cela remet-il en cause la vision que les économistes ont des enseignants ?

Corinne Prost : L'enseignant compte évidemment et certains enseignants réussissent mieux que d'autres à faire progresser les élèves. Tout parent d'élève le sait et les chefs d'établissement le savent également. Les économistes ont tenté de relier cette “qualité” des enseignants à certaines caractéristiques, telles que “âge” et “diplôme”. Il n'y a pas de réponse claire ; les jeunes enseignants sont un peu moins bons car c'est un métier qui s'apprend ; et les compétences académiques semblent jouer un rôle également. Toutefois, les plus grandes différences viennent de caractéristiques individuelles des enseignants, leur faculté à maîtriser une classe, leur sens de la pédagogie, leur envie. Il ne semble donc pas possible de repérer à l'avance les plus compétents ; c'est sur le terrain que les différences se dessinent. Néanmoins, il ne faut pas avoir une vision trop mécaniste : les personnes évoluent au fur et à mesure de leur carrière. En outre, un enseignant n'est pas seul, il s'agit d'une interaction entre une classe et lui. Il peut réussir un peu moins bien face à certaines dynamiques de classe.

L'étude ne remet pas en cause la vision des économistes sur les enseignants. Elle permet de préciser l'ampleur du phénomène et de montrer que les effets sont notables à long terme. Il y a un débat entre certains économistes de l'éducation qui pensent que les meilleurs leviers sont du côté des moyens budgétaires, par exemple la taille de la classe ; et d'autres économistes qui pensent que les enseignants influent bien davantage sur la réussite scolaire. Cette étude donne des arguments de poids à ces derniers économistes. Néanmoins, les moyens d'action ne sont pas encore très clairs.

Comment encourager la qualité des enseignements ? Faut-il créer un système de bonus pour récompenser les meilleurs professeurs ou bien remplacer les moins bons, par exemple ?

Corinne Prost : La question des ressources humaines au sein de l'Éducation nationale est assurément cruciale ; la formation continue ainsi que la mobilité et les carrières alternatives sont des outils qu'il faudrait maintenant évaluer. Une piste également se trouve du côté des chefs d'établissement. Ceux-ci attribuent les classes aux enseignants au sein de leurs établissements. Il faudrait pouvoir, autant que possible, mettre les meilleurs enseignants face aux classes les plus difficiles. Les chefs d'établissement devraient, d'une part, pouvoir se faire un avis sur la qualité pédagogique des enseignants, et, d'autre part, que cette compétence leur soir reconnue.

Marc Gurgand : L'utilité de ce résultat n'est pas très claire car on ne connait pas bien les ingrédients pour transformer un mauvais prof en prof moyen ou en bon prof, etc. Évidemment, on pourrait se débarrasser des mauvais enseignants, mais ce n'est pas si simple à objectiver et ensuite, juridiquement, politiquement et humainement, on ne sait pas très bien faire... Une direction plus constructive consiste à donner aux enseignants des techniques d'apprentissage très formatées ; c'est moyennement apprécié, car cela conduit toujours plus ou moins à limiter la liberté pédagogique. Il y a des choses qui devraient marcher, notamment pour l'apprentissage de la lecture, mais il faut un gros effort de formation et que les enseignants adhèrent complètement à l’approche, ce qui est difficile.

Du coup, si l'enjeu de la qualité des enseignants est présent dans le débat public, c'est plutôt à travers la politique de recrutement. Les questions qui sont posées, mais auxquelles on ne sait pas bien répondre, sont notamment : est-ce qu'on recruterait de meilleurs enseignants s'ils étaient davantage payés ? En France, il n'y a aucune évaluation qui permette d'en juger et à l'étranger le sujet est assez controversé. Par ailleurs, on s'inquiète beaucoup du faible ratio candidats/places aux concours de recrutement des enseignants. Mais la baisse des ratios date en fait des années 2000.

Propos recueillis par Pierre Havez

 

Références de l'étude américaine :

Raj Chetty, John Friedman et Jonah Rockoff
Measuring the Impacts of Teachers
I: Evaluating Bias in Teacher Value-Added Estimates

The National Bureau of Economic Research, Working Paper n° 19423
II: Teacher Value-Added and Student Outcomes in Adulthood
The National Bureau of Economic Research, Working Paper n° 19424
09.2013.

 

 

 


 

 

 

Source : Le Monde Économie, 31.05.2011

Thibault Gajdos

Les effets à long terme des enseignants efficaces

Article titré : “Attention, école en perte de moyens”

 

Form@PEx

 

L'annonce de la suppression de 8 967 postes d'instituteurs et de 1 500 classes pour la rentrée 2011 a suscité une vive protestation de l'Association des maires de France (AMF), portée par son président, Jacques Pélissard (UMP). Comme si les maires, indépendamment de leurs attaches partisanes, voyaient dans l'école un sanctuaire à préserver à tout prix.

Une étude menée par Raj Chetty et ses collègues des universités de Harvard, Berkeley et Northwestern leur donne raison (“How Does Your Kindergarten Classroom Affect Your Earnings? Evidence From Project STAR”, à paraître dans le Quarterly Journal of Economics).

Entre 1985 et 1989, 11 500 élèves d'écoles primaires du Tennessee et leurs enseignants ont été aléatoirement répartis dans des classes normales (22 élèves) ou à faibles effectifs (15 élèves), dans le cadre du projet STAR (Student Teacher Achievement Ratio).

Ces élèves ont été évalués tous les ans en mathématiques et en lecture. Ces données ont fait l'objet de nombreuses études, qui montrent que la taille des classes et la qualité des enseignants ont une influence sensible sur la performance des élèves aux tests.

Cet effet tend cependant à s'effriter avec le temps, et il n'en reste qu'une faible trace lorsque les élèves quittent le collège.

Mais, après tout, le rôle de l'école n'est pas d'améliorer les résultats des élèves à des tests standardisés, mais de contribuer à rendre meilleure leur vie d'adulte.

Raj Chetty et ses coauteurs se sont donc posé une question simple : observe-t-on des différences entre les participants au projet STAR devenus adultes, en fonction des classes auxquelles ils avaient été affectés ?

Les résultats sont spectaculaires. Tout d'abord, les élèves affectés dans des classes à faibles effectifs ont davantage de chances que les autres d'entrer à l'université, d'épargner pour leur retraite, d'être mariés, de vivre dans un environnement favorisé et d'être propriétaires de leur logement. La qualité des enseignants est également déterminante.

Un élève ayant eu, pendant un an, un enseignant parmi les 25 % les plus expérimentés, percevra au cours de sa vie 16 000 dollars de plus que s'il avait eu un enseignant parmi les 25 % les moins expérimentés.

Enfin, les chercheurs ont construit une mesure de la qualité intrinsèque des classes, qui rend compte de l'alchimie particulière qui peut se créer entre élèves et enseignants. La qualité des classes a un effet significatif, mais limité dans le temps, sur les résultats aux tests.

Elle a en revanche des effets considérables et persistants sur tous les aspects mesurés de leurs vies d'adultes (revenus, probabilité de poursuivre des études supérieures, d'être marié, propriétaire de son logement, etc.).

La qualité et la taille des classes ainsi que l'expérience des enseignants contribuent à forger des capacités (effort, initiative, participation, etc.), dont l'influence sur les tests est limitée, mais qui ont des effets considérables à long terme.

C'est donc à l'école primaire que se joue l'avenir de nos enfants ; c'est là que se forment et se perpétuent les inégalités les plus fondamentales.

Entre 2000 et 2009, l'effort consenti par la collectivité nationale (État, collectivités locales, entreprises, ménages) à l'éducation est passé, en France, de 7,3% à 6,9% du produit intérieur brut (PIB). L'école ne doit pas, ne peut pas, faire les frais de cet ajustement budgétaire.