Paul Kirschner : « La pédagogie constructiviste est comme un zombie qui refuse de mourir. » |
Le débat - Antagonismes |
Écrit par Paul A. Kirschner |
Samedi, 30 Mars 2019 18:00 |
TweeterPropos recueillis par Isak Skogstad « La pédagogie constructiviste est comme un zombie qui refuse de mourir. »Un entretien avec le professeur Paul A. Kirschner Traduction : Françoise Appy
Note de la traductrice : Isak Skogstad m’a permis de traduire la conversation qu’il a eue récemment avec le psychologue cognitiviste Paul A. Kirschner ; c’est la version longue d’un article paru dans le journal suédois Skolvärlden.
Un vieillard grincheux. C’est ainsi qu’il se définit lui-même. Mais vous le connaissez sous le nom de Paul Kirschner. C’est l’un des chercheurs les plus influents dans le domaine de la psychologie de l’apprentissage. Aujourd’hui, il enseigne à l’Open University of the Netherlands. Bien que pratiquement inconnu de la plupart de mes lecteurs suédois, le livre qu’il a co-signé, Urban Myths about Learning and Education, a été récemment traduit en suédois. Les mythes et légendes urbaines récurrents dans le domaine éducatif font partie des chevaux de bataille de Kirschner. C’est aussi pour cela que j’ai eu la chance de le rencontrer, lors de sa venue en Suède pour une communication sur les compétences du 21e siècle, dans le cadre de la Conférence ResearchEd. Je l’ai rencontré dans la bibliothèque du Royal Institute of Technology pour un entretien. Celui-ci fut publié d’abord dans le journal suédois Skolvärden, mais dans une version courte en suédois. Vous pouvez le trouver ici : Our brains have not changed for ten thousand years. Depuis, il y a au moins une personne aussi intéressée que moi pour en savoir plus sur Kirschner et ses idées sur l’éducation, la psychologie et l’enseignement et j’ai décidé de traduite la version longue de l’entretien et de la publier ici. Bonne lecture ! -o-
Professeur Kirschner, pourquoi vous présentez-vous comme un « vieux grincheux » ? Je ne crois pas la plupart de ce que je lis et je suis très sceptique quant aux modes et à l’hyper médiatisation. La seule chose que j’accepte comme “vraie” est ce qui est confirmé par une recherche de haute qualité. Cela signifie par exemple, qu’à propos des compétences du 21e siècle, je suis celui qui dit « Arrêtons là et apportons des preuves ! ». Alors, je suis catalogué comme un vieux grincheux. Mais c’est un titre que je porte avec fierté. En tant que vieux grincheux, l’été dernier vous avez twitté : « De quelle quantité supplémentaire de données probantes avons-nous besoin pour que cesse la folie de l’apprentissage par découverte constructiviste et que nous revenions à un enseignement conduit par le professeur, qui lui, est réellement efficace ? » Qu’est-ce qui est mauvais dans le fait de laisser les élèves découvrir leurs savoirs ? C’est de la folie, à partir du moment où il n’existe aucune preuve montrant que laisser les élèves découvrir eux-mêmes ce dont ils ont besoin, fonctionne. Les seules études montrant un effet positif de telles pratiques, sont quand les élèves, paradoxalement, reçoivent beaucoup d’instruction pendant ou, encore mieux, avant la recherche. C’est ce que j’appelle des méthodes traditionnelles conduites par l’enseignant. Dans l’un de vos articles les plus cités, vous soutenez que les méthodes d’enseignement dans lesquelles l’enseignant s’efface et laisse les élèves chercher et construire leurs savoirs, sont vouées à l’échec, car elles ignorent les connaissances sur la manière de fonctionner du cerveau. Même si cela est raisonnable, est-ce que l’on pourrait penser que l’importance du guidage de l’enseignant doit faiblir quand les élèves grandissent et deviennent plus instruits ? Dans mon domaine, nous distinguons la manière dont apprennent les novices et celle dont apprennent les experts. Les méthodes efficaces pour les uns souvent, ne fonctionnent pas pour les autres. Les élèves novices, indépendamment de leur âge, ont besoin de beaucoup de consignes, alors que les experts peuvent s’en passer. Devenir expert nécessite des connaissances et beaucoup de pratique, afin qu’il y ait automatisation et installation dans la mémoire à long terme. En Suède, nous avons constaté un déclin de l’enseignement traditionnel pendant les dernières décennies. Beaucoup disent qu’une pédagogie plus moderne est bonne, quand l’éducation se développe. Pensez-vous qu’un enseignement conduit par l’enseignant transmettant des consignes, serait approprié en 2019 ? Oui. Pourquoi ? Parce que les élèves apprennent plus par ce biais. Le but de l’école est d’enseigner aux élèves. S’il y a des méthodes ou des stratégies d’enseignement dont nous savons qu’elles conduisent à de meilleurs résultats et qu’elles renforcent l’estime de soi des élèves (Oui, je sais faire cela !), alors les écoles devraient les utiliser. On critique parfois l’enseignement transmissif et on le traite avec mépris d’enseignement magistral. C’est un argument spécieux. Enseigner magistralement depuis une chaire est une méthode. Ce matin, j’ai fait une communication par cette méthode. Pourquoi ? J’ai communiqué sur un sujet inconnu de mon auditoire. Cela fonctionne très bien. C’est la manière la plus efficace d’utiliser les 40 minutes qui me sont imparties. C’est aussi simple que cela. Mais nous vivons dans une ère digitale, nous pouvons rechercher des informations, faire des traductions grâce aux téléphones que nous avons dans nos poches, est-ce que les écoles ne devraient pas se concentrer sur autre chose que des connaissances traditionnelles ? Oui, nous sommes dans une ère digitale, mais nos cerveaux n’ont pas changé en 10 000 ans. Nous le savons d’après les études anthropologiques de crânes anciens. Parce que nos fonctions cognitives sont les mêmes ; honnêtement, je ne comprends pas pourquoi nous devrions faire différemment, au prétexte que nous vivons dans une « époque nouvelle ». Le reste de la société a changé à vive allure. Regardons simplement les soins médicaux, il n’est pas possible de comparer les hôpitaux du 19e siècle à ceux d’aujourd’hui. En même temps, de nombreuses classes et manières d’enseigner ressemblent à celles de cette époque. Est-ce que les écoles ne devraient pas changer davantage ? Pourquoi ? Beaucoup exagèrent le changement de la société, en particulier aujourd’hui. En fait, la société a plus changé entre 1900 et 1930, les gens sont passés des bougies pour s’éclairer aux ampoules électriques, du télégraphe au téléphone, des instruments de musique réels au phonographe et à la radio, des chevaux aux voitures. Nous avons aussi appris à voler dans des avions, ceci dans ces 30 années. Cependant, avons-nous vraiment besoin d’envoyer les enfants dans une école située à plusieurs kilomètres tous les jours, s’ils ont accès à Internet sur leurs téléphones mobiles ? Alors, permettez-moi de vous poser une question. Si vous lisez quelque chose sur Internet, sur un sujet que vous ne connaissez pas, comment allez-vous l’interpréter et évaluer si la source est crédible ou pas ? Pensez-vous que vous serez capable de résoudre un problème en physique quantique avec une heure et demie de téléphone ? Bonne chance, les réponses sont ici ! Allez-y ! Merci pour la proposition ! Je comprends que j’aurai besoin de plus d’enseignement pour y parvenir, mais est-ce que j’ai vraiment besoin d’un professeur pour cela, alors qu’il y a en ligne, de nombreux cours et leçons ? Oui, et alors ? Si vous pensez qu’il suffit de mettre quelque chose dans un bocal, vous sous-estimez l’importance d’un bon enseignant, qui est capable de transmettre à ses élèves. Les questions relatives aux devoirs à la maison dans l’école suédoise sont un débat qui est parfois très intense. Beaucoup s’interrogent sur leur utilité. Y a-t-il une raison à l’utilisation des devoirs ? Oui, bien sûr. Il existe une chose appelée la pratique de récupération. Il s’agit de revisiter ce que nous avons appris précédemment, ce qui renforce le maintien en mémoire ; cela nous aide à lutter contre l’oubli. Les devoirs à la maison et les interrogations sont des outils incroyables pour cela. Hattie déclare que les devoirs à la maison fonctionnent, mais que l’effet positif n’est pas particulièrement important pour les jeunes élèves. Beaucoup aussi disent que les devoirs à la maison contribuent à accentuer les inégalités scolaires. C’est probablement parce que les élèves ont trop de devoirs à faire ou parce que les enseignants ne tirent rien des devoirs faits par les élèves. Les devoirs ne sont pas efficaces si vous, en tant que professeur, n’en faites rien. Ils ne devraient pas simplement être validés. Si on utilise les devoirs pour fournir une rétroaction ou si on les teste avec un quiz, alors les devoirs sont efficaces. Qu’est-ce qui caractérise un enseignant expert ? Il est important de remarquer que vous pouvez être un enseignant expérimenté et ne pas être un expert de l’enseignement. Un enseignant expert a une connaissance conceptuelle profonde de son sujet comme de son aptitude pédagogique à atteindre ses élèves. La formation à l’enseignement est parfois critiquée en raison d’un focus trop important sur les théories pédagogiques et peu de chose sur la psychologie. Est-ce un problème ? Si à la fin de votre formation d’enseignant, vous connaissez comme seuls principes ceux de Vygotsky et de Piaget, alors vous n’avez aucune idée de ce que signifie enseigner. Vous êtes un pédagogue et non un enseignant. Malheureusement, la qualité de la formation aux Pays-Bas est très basse. La formation est trop courte, le niveau des étudiants est très bas et le contenu trop limité. La théorie de la charge cognitive peut être rapidement résumée par le fait que nous les humains, avons deux processus de mémoire : la mémoire de travail et la mémoire à long terme. C’est dans la première que la pensée opère mais en même temps, elle est étroitement limitée. Dans la mémoire à long terme, nous stockons tout ce que nous savons, et ce que nous en retirons ne vient pas encombrer la mémoire de travail. Ainsi, il est important de posséder beaucoup de connaissances en mémoire à long terme car cela économise une place précieuse dans la mémoire de travail. Si la mémoire de travail est surchargée, l’apprentissage est bloqué. Les critiques déclarent que c’est juste une théorie parmi d’autres. Est-ce que la théorie de la charge cognitive est vraiment une base importante comme vous le dites ? Les seuls qui pensent que la théorie de la charge cognitive est controversée sont les constructivistes. Mais bien sûr, c’est juste une théorie, tout comme l’était la théorie de la gravité de Newton. La théorie de la charge cognitive nous dit comment notre architecture cognitive affecte notre façon d’apprendre et comment cela interagit avec l’enseignement. Il y a peut-être deux mille articles scientifiques montrant comment la théorie se tient. Peu importe le moyen, nous pouvons dire qu’elle n’a pas été réfutée. Bien sûr, il y a d’autres théories. En Suède, le débat autour du curriculum est très intense depuis quelques années. Le curriculum a des demandes élevées sur les élèves relativement jeunes dans des habiletés comme le raisonnement, l’analyse et l’étude de sujets complexes. Quel est votre point de vue sur la question ? C’est absurde ! On ne peut rien faire sans sujet d’étude. On ne peut pas raisonner sans connaître le sujet parfaitement. Il n’y a rien de pire que les « habiletés générales », il n’est pas possible d’analyser quoi que ce soit sans connaître un tant soi peu le sujet. C’est impossible, de la même manière qu’il serait impossible à un footballeur d’être un professionnel s’il était incapable d’avoir le contrôle de base du ballon. En même temps, certains soutiennent qu’il est important pour l’école d’enseigner la créativité et le leadership ? Vous ne pouvez pas enseigner à être créatif. C’est un trait de caractère. Ces traits peuvent être stimulés ou inhibés en fonction de l’environnement. Vous pouvez créer un environnement facilitant la créativité ou la flexibilité ou le leadership mais vous ne pouvez pas l’enseigner. La connaissance du sujet stimule la créativité dans la recherche de solutions utiles. Vous ne pouvez pas faire cela si vous n’avez pas une bonne connaissance du sujet. On dit que les élèves d’aujourd’hui sont des digital natives (natifs numériques) – ils ont grandi avec des smartphones et sont en conséquence doués en technologie.
La recherche a montré que les digital natives n’existent pas. On peut penser que les jeunes d’aujourd’hui sont bons en communication et en collaboration parce qu’ils utilisent tout le temps Snapchat ou Instagram ou Whatsapp, mais le fait est que le domaine dans lequel ils sont bons est de copier les réponses des autres, et non d’acquérir ou de partager des connaissances. L’école suédoise est l’une des plus connectées parmi les pays de l’OCDE. Actuellement, le gouvernement a mis en œuvre une stratégie pour accélérer la digitalisation des écoles, par exemple en imposant à toutes les écoles d’acheter des ordinateurs pour tous les élèves. Cela coûtera plusieurs billions de couronnes. Est-ce une bonne idée ? Un ordinateur est un outil. Utilisé correctement il peut aider, mais utilisé incorrectement il peut causer des problèmes. Ce qui est mauvais, c’est de croire que vous enseignerez mieux avec un ordinateur. Les études internationales ont montré que les écoles suédoises ont des problèmes majeurs avec l’absentéisme et des éléments perturbateurs pendant les leçons. Beaucoup d’élèves se disent perturbés une fois sur deux. D’autres disent que ce n’est pas un problème car un environnement animé promeut la créativité. Avez-vous un commentaire sur cela ? Non, l’attention est très importante. C’est si simple. Cela ne veut pas dire que tout le monde doit être silencieux comme une souris, mais la première priorité de tous les enseignants devrait être de s’assurer que tous les élèves concentrent leur attention sur ce qui est enseigné. Tout ce qui amenuise l’attention affecte négativement l’apprentissage. Si vous restez et regardez les nouvelles et que quelqu’un entre et vous pose une question, et que cela dure 30 secondes, alors vous avez manqué 30 secondes des nouvelles. Alors vous avez moins appris de ce qui est arrivé. C’est aussi simple que cela. |